Le point de vue de Philippe Martel, psdt de la FELCO
J’ai assisté à ces assises[1] en qualité de président de la FELCO, Fédération des enseignants de langue et culture d’oc, rassemblant les enseignants du public des diverses académies de l’aire linguistique occitane (sans oublier la région parisienne où nous avons des représentants et un enseignant actif). J’étais donc mandaté par mon association pour défendre un certain nombre de positions, notamment la demande d’un texte de loi et une action sur l’article 2; par ailleurs, la nécessité d’une approche du problème des langues de France au niveau national.
- Premier point : ces Assises ont attiré du monde, ce qui montre qu’il y avait une attente. Mais il semble bien que les invitations envoyées par le Ministère aient touché davantage la mouvance des langues régionales, et fort peu celle des langues non territoriales, ce qui n’est peut-être pas un hasard, mais une indication sur la façon dont le gouvernement perçoit le problème. Je laisse de côté le fait que je ne suis pas certain de la représentativité et du sérieux de certains participants.
- Au regard des attentes, la réponse des ministres a été plus que légère. Pas de texte. Une résurrection annoncée du Conseil des Langues de France, créé par Fabius à la veille des élections de 86, déjà ressuscité une fois par Trautmann à la veille de je ne sais plus quelle élection, et qui repointe donc son museau aujourd’hui, sans d’ailleurs qu’on en sache beaucoup plus (Quelles missions ? Quelle périodicité ? Quelle composition ?). Rien de bien affriolant. Et surtout, une doctrine, justifiant la présence de Devedjian, alors qu’on aurait attendu plutôt Darcos : tout ça, ça relève des régions.
- Le point de vue de la FELCO là-dessus : les régions et les autres collectivités territoriales ont certes un rôle à jouer, et elles le jouent déjà, mais :
- Leur implication sur ce champ, pour ce qui est de l’occitan qui concerne plusieurs régions, est très inégale : plus que réduite au nord (Auvergne), un peu meilleure dans le Sud-Ouest et en Languedoc-Roussillon, difficilement lisible en Provence, sans parler de Rhône-Alpes, affligé d’une partie sud occitanophone (Drôme-Ardèche) et qui de toute évidence s’en moque. Une première raison pour nous d’être méfiant, même si on envisage la possibilité d’une coordination interrégionale (mais lancée et gérée par qui, pratiquement ?)
- Plus grave : il ne faudrait pas que ces belles envolées décentralisatrices ne servent qu’à justifier pour l’Etat le refilage du mistigri aux régions, sans que les moyens nécessaires suivent. Les régions doivent déjà assurer de plus en plus de dépenses sociales ou autres, et dans le domaine culturel on commence à leur sous-traiter l’entretien du patrimoine bâti. Toutes choses qui coûtent cher. C’est bien joli de décentraliser les dépenses, en décentralisant moins volontiers les recettes, mais dans le cas qui nous occupe, comment les régions pourront-elles sérieusement mener une politique ambitieuse en matière de langues régionales dans les conditions qui sont actuellement les leurs ? Il ne suffit pas de mouliner l’inévitable condamnation du jacobinisme pour résoudre ce problème. N’essaierait-on pas de nous promener ?
- Plus grave encore : que deviendraient dans ces conditions les langues non-territoriales ? Quelle région aidera au développement du berbère ou de l’arménien -et on ne parle même pas de la romani chib ! Le gouvernement chatouille ici la fibre terroir, pas la fibre pluralisme culturel et linguistique.
- C’est le plus grave : à ce compte-là il n’y a pas possibilité de développer une circulation entre les diverses cultures présentes sur le sol national, ni de faire connaître leur existence à l’ensemble de la société française. C’est une erreur grave, propice au développement d’inégalités flagrantes, et susceptibles de nourrir le communautarisme même que ces messieurs passent leur temps à dénoncer. Les langues de France concernent la France toute entière. Sur ce point je pense (même si ça fait débat chez certains défenseurs des langues « régionales » attentifs à ne pas partager trop un gâteau déjà modeste) que les « régionales » et les « non-territoriales » ont des intérêts communs.
- Je laisse de côté les gags subalternes qui ont émaillé les débats, avec les micro-localismes bousculant tout le monde pour qu’on les voie mieux. Il est regrettable que la mouvance occitane ait été dans ce domaine particulièrement performante…
- Autre chose : si on pouvait difficilement se faire beaucoup d’illusions sur les résultats concrets des Assises, elles pouvaient au moins avoir un effet positif, pour peu que les médias s’en emparent. C’était même là l’enjeu principal de la journée, à mon sens, car il est rare que ces médias s’occupent de nos problèmes -je parle bien sûr des médias nationaux, puisque la chose se passait à Paris et que c’est eux qui font l’opinion plus que la presse locale. Or, pour une raison ou pour une autre, l’absence des médias, écrits ou audiovisuels, a été criante. Un article dans le Monde, la veille, pas un mot après. Rien ailleurs. Même le Figaro, toujours prompt à laisser vaticiner un académicien quelconque sur ce genre de sujet, est resté, à ce que j’en sait, totalement muet. À la télévision, en dehors des quelques reportages préliminaires de TF1, rien, sinon un reportage de Fr2 le dimanche, sur des curés bretons souhaitant dire la messe en breton. C’est une partie de la réalité, mais il est abusif de laisser croire au téléspectateur innocent que c’est la seule. De toute évidence, la présence de deux ministres de second plan et celle d’élus locaux sans visibilité hors de leur arrondissement n’ont pas été jugées assez attractives par les journalistes -en espérant d’ailleurs qu’ils en ont été correctement informés par le Ministère. En bref, nous avons perdu la bataille médiatique. Et par conséquent, nous avons perdu sur tous les tableaux. Le fait d’avoir pu rencontrer les militants d’autres langues et cultures ne compense rien, puisqu’on a depuis longtemps des occasions de se voir ailleurs. Et ce n’est pas la promesse vague de secondes assises organisées cette fois par « les associations » (lesquelles ? comment ? avec quels moyens ?) qui peut nous consoler.
À qui la faute ? Il faudrait demander à la DGLFLF quel bilan elle tire de l’opération. Nous pensons, ici, qu’elle a joué le jeu et fait ce qu’elle pouvait. Mais elle n’est pas le gouvernement, et ce n’est pas elle qui décide. C’est au sommet -et pas même chez Aillagon que les décisions se prennent -et le sommet a visiblement décidé de n’en pas prendre. Bref, nous avons, tous, encore du pain sur la planche…
Philippe MARTEL
[1] Actes des 1ères Assises nationales des langues de France, 4 octobre 2003 / [organisées par le] Ministère de la culture et de la communication ;