Nous avons pris connaissance du deuxième projet de circulaire sur l’enseignement des langues régionales.
Lors de l’audience qui nous a été accordée au Ministère de l’Éducation nationale le 7 octobre dernier par Messieurs Bauduin et Hubac, nous avions pu dire que l’enjeu majeur de cette circulaire, c’était de permettre une avancée pour l’enseignement public des langues de France. Nous rappelons qu’à ce jour, 75% des élèves qui apprennent une langue régionale le font au sein du service public d’éducation et que la marge de progression y est importante puisqu’y sont scolarisés l’immense majorité des élèves concernés.
Certes, une nouvelle circulaire soulignant l’intérêt de l’enseignement de nos langues est indispensable à une application ambitieuse de la loi N°2021-641 votée le 8 avril dernier, et à une relance pour des enseignements malmenés depuis quelques années. Cela dit, il nous semble que l’importance de cette loi aurait justifié la rédaction de véritables décrets d’application, et pas seulement d’une circulaire.
Cependant, en dehors du fait que dans son état actuel, ce deuxième projet maintient des affirmations erronées qu’il convenait pourtant de corriger, nous continuons à considérer que pour permettre un vrai développement de l’enseignement des langues régionales, la circulaire en cours d’élaboration doit prendre en compte la réalité de leur situation. De même, elle doit intégrer une réflexion sur les enjeux de la transmission de ce patrimoine, comme sur les récents engagements du gouvernement et la nouvelle loi, notamment son article 7.
Au vu du nouveau texte tel que nous l’avons reçu, nous sommes conduits à ajouter les réserves qu’il nous inspire à celles que contenait déjà notre réaction à la première version, réaction dont nous constatons au passage, sans en tirer de conclusion particulière, qu’elle ne semble pas avoir eu d’écho du côté de ses destinataires…
Des affirmations erronées à corriger et un grave oubli
- Depuis les circulaires 2001-116 et 2001-167, l’Éducation nationale n’a pas vraiment « poursuivi ses efforts pour développer l’apprentissage des langues vivantes régionales et la connaissance des cultures qu’elles portent » comme l’affirme la circulaire.
De 2003 à 2020 il y a eu beaucoup plus de mesures négatives que d’avancées dans ce domaine, d’où, pour l’occitan notamment, une chute de l’offre d’enseignement entraînant une baisse des effectifs. C’est ainsi, par exemple, que le nombre de lycées proposant l’enseignement de l’occitan a chuté de 122 en 2003 à 106 en 2018 pour s’effondrer à 82 en 2019.
- Au vu de cet effondrement, il nous paraît difficile de dire que les langues régionales sont « partie intégrante de la politique de développement des langues vivantes ». Car leur donner le même « régime » que les langues étrangères, donc les mettre en concurrence systématique, faussée et mortifère, avec celles-ci, c’est les marginaliser.
Nos langues régionales ne sont pas des langues étrangères, mais des langues de France, ainsi qu’elles sont reconnues, par exemple, au Ministère de la culture, dans la Direction générale à la langue française et aux langues de France – DGLFLF. C’est un véritable statut spécifique, comme langues patrimoniales de la Nation, qu’elles nécessitent.
- Affirmer que « Les langues vivantes régionales sont considérées comme partie intégrante de la politique de développement des langues vivantes engagée par le ministère chargé de l’éducation nationale à travers le ʺplan languesʺ » est une contrevérité.
En effet, ce plan « langues » récemment proposé par notre Ministère[1] concerne exclusivement les langues étrangères. De plus il dévalorise et fragilise le développement de l’enseignement bilingue français-occitan auquel il substitue même par endroits l’enseignement bilingue avec l’anglais.
- Plus grave : nous ne pouvons qu’être étonnés et inquiets de voir que l’article 7 de la loi N°2021- 641, rapidement évoqué en début de circulaire, puis à nouveau à la page 3, n’est pas repris selon les termes énoncés par la loi et selon ceux de l’article L.312.11.2 du Code de l’Éducation.
En effet, alors que l’article du code de l’Éducation évoqué ici mentionne clairement « le but de proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves », la circulaire évoque de manière imprécise le « plus grand nombre d’élèves ». D’où vient ce déni de la loi dans une circulaire ministérielle ?
D’autre part, aucune mise en œuvre concrète de cet article par les différentes instances telles que les CARL et les collectivités territoriales n’est proposée par la circulaire. La question cruciale des moyens et personnels indispensables n’est pas davantage évoquée.
Cet article 7 est pourtant décisif pour donner un avenir à une véritable transmission de nos langues et pour en développer l’enseignement de façon équitable sur l’ensemble des territoires concernés.
- la possibilité de « remédiation » pour les élèves des filières bilingues (p. 7), et, pour ce faire, leur éventuelle réintégration dans un cursus classique, repose sur des critères qui ne sont pas évoqués.
La circulaire laisse penser qu’une mauvaise maîtrise de la langue française serait la conséquence de la fréquentation du cursus bilingue en langue régionale et que donc la « réintégration » dans un cursus bilingue serait une « remédiation » – comme si la mauvaise maîtrise de la langue française était en lien avec l’étude de la langue régionale, et comme si les cursus monolingues n’offraient malheureusement pas d’autres exemples d’une telle « mauvaise maîtrise », due à bien d’autres facteurs… Quoi qu’il en soit, conformément aux injonctions ministérielles, une remédiation (en français mais aussi en mathématiques et pour d’autres apprentissages) est déjà assurée par tous les enseignants, y compris ceux des sections bilingues. De plus le lien sous-entendu entre bilinguisme et difficultés scolaires est en totale contradiction avec les principes généraux de la circulaire, notamment lorsqu’elle réaffirme que « les langues vivantes, étrangères et régionales, concourent à l’ouverture culturelle des élèves, favorisent leur mobilité et leur insertion professionnelle, et développent leur conscience civique » ainsi qu’avec « le rapport annexé à la loi du 8 juillet 2013 qui reconnaît le caractère bénéfique pour la réussite des élèves de l’apprentissage précoce des langues vivantes régionales » (p.2).
La « réintégration » dans un cursus classique ne devrait donc pas être justifiée par les difficultés scolaires en français. Ce changement de cursus ne devrait éventuellement être enclenché qu’à la demande expresse et motivée des familles et soumis à l’autorisation du chef d’établissement.
- Enfin, concernant le diplôme du DNB, il est étrange que la circulaire ne réaffirme pas la possibilité de passer une partie de l’épreuve orale en langue régionale. A ce titre, elle devrait généraliser la pratique d’un certain nombre de collèges qui octroient un statut bonifiant aux points réservés à l’expression en langue régionale lors de cette épreuve. Il est également étrange de constater qu’aucune mention n’est faite sur le choix de composer en langue régionale lors de certaines épreuves du baccalauréat pour les filières bilingues.
Rappel de la situation et des enjeux
Les langues régionales de France, vous le savez, sont menacées, notamment l’occitan-langue d’oc dont l’enseignement continue de régresser. Moins de 1% des élèves du Pays d’oc en bénéficient. Sans une véritable relance, cet enseignement est condamné, et c’est le Ministère qui en portera la responsabilité. Une politique qui réponde aux enjeux et aux engagements du gouvernement passe par une circulaire beaucoup plus volontariste impliquant des mesures que nous détaillons ci-après.
Concernant les ressources humaines
- Le respect et mise en application de l’article 7 de la Loi dite « Molac », avec une véritable politique d’offre d’enseignement, une augmentation importante des postes au concours (CRPE spécial, CAPES d’Occitan- Langue d’Oc, Agrégation des Langues de France) et, en amont, le développement de la formation initiale dans les universités et les INSPE de l’ensemble de l’espace concerné. C’est une mesure prioritaire.
- le rétablissement de l’option facultative Langue Régionale au Concours de Recrutement des Professeurs de Ecoles (CRPE),
- l’intégration d’un module de sensibilisation dans la formation de tous les enseignants des académies concernées,
- la prise en compte de la compétence et des besoins en langues régionales pour le mouvement interacadémique : des postes restent vacants alors qu’ils pourraient être pourvus avec une adaptation du mouvement, dans le respect des statuts des uns et des autres.
- la définition de modalités d’habilitation en Langues régionales pour des enseignants d’autres disciplines, avec des mesures de formation adaptées. Voir à ce propos l’exemple des dispositifs « Ensenhar», mis en œuvre en partenariat avec l’Office Public pour la langue occitane dans les académies relevant de son ressort[2]. Dans un souci de justice et de cohérence à l’intérieur de l’espace d’oc, il convient de réfléchir à la généralisation de ces mesures dont seuls 4 rectorats (sur 8 pour l’ensemble occitan) sont actuellement partenaires.
Concernant les parcours des élèves
- le retour à un statut bonifiant pour l’option LVC langue régionale dans le cadre de l’examen du baccalauréat,
- la possibilité de cumuler l’option LVC langues régionales avec une autre option linguistique, à l’instar de ce qui est accordé aux Langues et cultures de l’Antiquité,
- la possibilité de cumuler un Enseignement de Spécialité LLCER langue Régionale avec un Enseignement de Spécialité LLCER Langues Etrangères, à l’instar de ce qui est accordé pour un Enseignement de Spécialité LCA,
- le rétablissement de l’enseignement facultatif « langues régionales » pour toutes les séries technologiques,
- l’organisation effective, dans un souci de cohérence, du suivi des enseignements, y compris des enseignements facultatifs.
Plus généralement
nous réclamons la définition de dotations ministérielles fléchées seules à même d’éviter la mise en concurrence fatale des enseignements de langues régionales avec les autres disciplines. Ces dotations spécifiques fléchées pour l’enseignement de l’occitan sont indispensables pour les académies concernées, la charge de cet enseignement s’ajoutant pour elles à toutes les autres charges budgétaires communes à toutes les académies.
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Si le gouvernement a vraiment la volonté de développer l’enseignement public des langues de France, et d’appliquer sans réticence la loi 2021-641, la première à être adoptée massivement par la représentation nationale depuis la loi Deixonne de 1951, la présence des mesures présentées ici dans la version définitive de la circulaire est nécessaire. Si tel n’est pas le cas, le document actuellement en préparation ne témoignera alors de rien d’autre que de l’absence de considération pour les véritables enjeux d’une prise en compte sincère de la question des langues de France et son seul effet sera d’entériner et de prolonger deux décennies de régression de leur enseignement dans l’école de la République.
[1] https://cache.media.eduscol.education.fr/file/Formation_continue_enseignants/46/9/plan_languesvivantes_10_mesures_1314469.pdf
[2] http://cache.media.education.gouv.fr/file/La_pedagogie_dans_l_academie/90/2/Presentati on_ENSENHAR_PROF_2020-2021_1228902.pdf