L’analyse de Philippe MARTEL d’un colloque tenu par La libre Pensée
Le 10 mai 2014, s’est tenu à la Bourse du Travail (à Paris, comme il se doit) un colloque solennel organisé par la Libre Pensée[1]. Ceux qui se souviennent de ce qu’a été jadis la Libre Pensée pourraient s’imaginer que ce colloque entendait traiter des grandes questions qui touchent notre société aujourd’hui : la progression des inégalités, la rupture du lien social, le repli identitaire qui amène tant de nos compatriotes à se réfugier soit dans l’irrationnel du religieux dans ses variantes les plus extrêmes, soit dans un irrationnel encore plus dangereux, le vote Front National. Ceux-là auraient tort : ce colloque n’avait d’autre objet que de lancer une grande croisade contre la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, document perçu de toute évidence comme bien plus dangereux que les activités de MM Gattaz, Barroso, Copé et Sarkozy réunis, sans parler de la famille Le Pen. Soit. Admettons. Qui donc participait à ce grand colloque, et pour dire quoi ?
En ouverture : Françoise MORVAN
L’ouverture avait été confiée à Françoise Morvan, auteur, comme on le sait du Monde comme si[2], dénonciation indignée du nationalisme breton par une repentie, un peu comme ces anciens maoïstes des années 70 que l’on retrouve trente ans plus tard défenseurs de la libre entreprise. L’intervention de Françoise Morvan mobilise une rhétorique vigoureuse : pour elle, l’idée d’une ratification de la Charte par la France constitue une « forfaiture des élus et des médias », pas moins, inspirée par un « lobby ethniciste » attaché à faire éclater les États Nations. Mme Morvan voit là l’effet d’une « idéologie nauséabonde » (on attendrait la référence inévitable aux « heures les plus sombres de notre histoire », mais Mme Morvan a curieusement oublié ce cliché). Son argumentation complotiste et catastrophiste n’est pas nouvelle. Elle voit dans la charte le cheval de Troie qui mènera à la ruine de la France, sous les coups de « toute une frange de droite et de gauche autour de thèmes anti républicains associant régionalisme et liberté, multiculturalisme, pureté des idiomes et haine de la France », autant de conspirateurs visant à faire éclater les États Nations. Mais des conspirateurs soutenus par la gauche (en fait, le PS): Jospin n’avait-il pas essayé de faire ratifier cette charte, au prix de manipulations sournoises de nature juridique (allusion au rapport Carcassonne) linguistique (allusion au rapport Cerquiglini) le tout couronné par un rapport dû à un « politicien » (Bernard Poignant) : nous donnons ici des noms que Mme Morvan juge indigne de sa dignité de citer. L’effort de ces conspirateurs, victorieusement combattus en leur temps par le Conseil Constitutionnel, a été relayé depuis par les Bonnets Rouges. Mme Morvan semble avoir compris, tout de même, que c’est leur action qui a mené le gouvernement Ayrault, n’écoutant que son courage, à s’engager assez précipitamment dans la remise au premier plan du vieux débat sur la charte. Autant d’éléments qui lui permettent d’un même mouvement de dénoncer la « forfaiture des socialistes » et les manœuvres, derrière les Bonnets Rouges, du patronat ultralibéral breton. On a presque envie de prendre au sérieux ce discours revêtu des apparences flatteuses du progressisme (les travailleurs bretons manipulés par un lobby patronal). Sauf que le lien entre les projets de ce patronat et la défense des langues régionales est suggéré plus que démontré. Et surtout, ce qu’on lit à travers la façon dont Mme Morvan résume le propos de la Charte sonne curieusement. Certes, on y trouve la dénonciation d’un certain deux poids – deux mesures : pourquoi défendre les langues régionales et pas les dialectes (elle cite le gallo) ou les langues d’immigration ?). Là encore on a presque envie de la prendre au sérieux. Sauf qu’elle embraye sur un résumé sarcastique du rapport Cerquiglini : ne propose-t-il pas de prendre en compte des idiomes aussi pittoresques que « le bourguignon-morvandiau, l’arabe dialectal, le pwapwa, le pwaamei et autres langues de Nouvelle Calédonie ». En dehors du fait que l’on ne peut pas à la fois mentionner sur ce ton le morvandiau et l’arabe dialectal et dénoncer la non prise en compte des dialectes du français et des langues d’immigration, on sent bien quel effet est recherché par l’auteur : du morvandiau, fi donc ; et des idiomes lointains aux noms amusants, le pwapwa, mort de rire, non ? Sous les grands principes républicains, ce qui pointe ici son mufle, c’est l’éternel mépris des gens bien pour les patois imprononçables des rustres et des sauvages. Et c’est à cette prose que la Libre Pensée ouvre l’enceinte de la Bourse du Travail…
Une suite d’interventions hétéroclites
On nous pardonnera de ne pas entrer dans le détail des interventions qui suivent ce beau prologue, dues aux représentants attitrés de divers groupes se réclamant tous de la laïcité, comme si la question des langues renvoyait à la sphère du religieux : on finit d’ailleurs par s’y perdre, au milieu d’intitulés remarquablement similaires : « Association » laïcité liberté, « comité » laïcité république », « conseil national » des associations familiales laïques », « Europe et laïcité », le tout sous la houlette de l’Union Rationaliste, et, donc, de la Libre Pensée.
Les dénonciations
La plupart des discours prononcés par les représentants de ces entités reprennent en gros les mêmes thèmes :
– dénonciation vitupérante de la charte et de ses partisans, (notamment les socialistes), de ses auteurs (les Allemands pour les uns, le capitalisme anglo-américain pour d’autres, voire les nostalgiques d’un retour à l’Ancien Régime, pas moins).
– description apocalyptique des conséquences funestes de l’adoption de la Charte : on va « plaider en occitan, répondre en breton, et juger en corse » dit un certain Lahoz, « syndicaliste libre penseur ». Le fantasme d’une France où les fonctionnaires seraient obligés d’apprendre une langue locale pour être affectés dans la région où elle se parle est repris, par pratiquement tous, au mépris de la réalité aussi bien de ce que la France a retenu des dispositions de la Charte que de la réalité des pratiques linguistiques du pays.
– référence révérencielle à une Histoire Nationale bien particulière : « Dès l’origine de la France la langue a été considérée comme une composante à part entière de la Nation », dit un certain Ramiro Riera, (Association Laïcité Liberté)[3] Ce brave homme considère donc que c’est la langue qui fait la Nation, personne ne lui ayant signalé que le discours ordinaire récuse au contraire tout fondement ethnique au contrat national, présenté comme de nature purement politique. Mais il ne faut pas trop en demander à un « républicain » qui se réfère aux « origines » de la nation (Clovis parlait-il français ?), célèbre l’édit de Villers-Cotterêts de feu François 1er, ce jacobin incontestable, salue dûment la mémoire de l’abbé Grégoire et de Ferdinand Bruno (sic : allusion au linguiste, privé de son –t final ? Croisement avec G. Bruno, l’auteure immortelle du Tour de France de deux gamins[4] ?. Grégoire et Barrère (sic) reviennent sous la plume de J.F. Chalot (conseil national des associations familiales laïques).
Sur les langues régionales elles-mêmes, on distingue plusieurs nuances entre les orateurs
Riera s’affiche plutôt ouvert : oui, il faut préserver les langues régionales, car elles sont un patrimoine de l’humanité. Il ajoute un peu plus loin : « ne pas modifier la Constitution n’interdit pas à la République de protéger et de promouvoir les langues régionales dans le respect de la Constitution. Il suffit pour ce faire d’une volonté politique, d’une volonté de s’affranchir des revendications identitaires et d’une volonté de ne pas se laisser dicter de l’extérieur ce que nous devons être ». Cette prose pâteuse et dont on peine à comprendre le sens exact s’achève sur une profession de foi qu’on ne peut s’empêcher de trouver aussi obscure qu’inquiétante : « la République est un dépassement de l’idée de démocratie, elle lui est bien supérieure ». Ceci ayant été dit, on n’en saura pas plus sur les modalités pratiques de cette promotion si charitablement souhaitée.
Il est vrai que pour Riera, la question est réglée depuis la loi Deixonne. Le problème est que sur ce point ses connaissances sont plus que sommaires. Pas seulement parce qu’il affuble ce pauvre diable du prénom de Joseph. Deixonne, rappelons-le, c’est Maurice. Mais au-delà de cette erreur factuelle, il y a plus grave dans la façon dont Riera décrit le contenu de cet enseignement des langues régionales : pour lui, ce sont « les collectivités locales qui le souhaitent » qui l’organisent. L’idée ne lui vient manifestement pas que c’est dans le cadre national que depuis Deixonne la question a toujours été pensée (enfin pensée… Bref…). Pire : à l’appui de cette idée que somme toute ces langues régionales sont bien servies, il avance les noms de deux institutions : le Conseil National des Langues et Cultures Régionales, remarquable par son inexistence, et un Institut privé des langues de la République (allusion sans doute à un organisme domicilié à Béziers) : bref, on ne saurait dire plus clairement que la question de ces langues relève du domaine local et du domaine privé. On y reviendra.
D’autres partagent cette idée rassurante qu’il n’y a pas d’inconvénient à soutenir les langues régionales « comme elles le sont depuis des années », dit la représentante de l’Union rationaliste. Mais la même suggère, elle aussi en termes d’ailleurs peu clairs, que ces langues, somme toute, n’ont plus de réalité concrète dans les régions où elles ont été en usage, que leur apprentissage est en tout état de cause « un acte individuel, familial, qui n’engage que soi en vérité », une affaire privée, donc, là encore. Mieux, ou pire, elle dénonce ces langues comme ayant été jadis les vecteurs d’idées réactionnaires dont la République a libéré leurs locuteurs (on en conclut qu’il n’y a jamais eu de texte politique progressiste en occitan ou en breton –que les sardinières de Douarnenez n’ont donc jamais chanté l’Internationale dans cet idiome[5] et que par contre, il n’est pas possible de tenir en français le moindre propos réactionnaire…).
Tout ça pour conclure « nous ne voulons pas que soit imposée une culture franco-française, que soient survalorisées des particularismes régionaux sélectionnés arbitrairement, que soient renforcées les inégalités sociales ». Nous peinons, une fois de plus, à saisir la cohérence de ce propos. La culture franco-française telle qu’elle fonctionne depuis des siècles, n’est-ce pas justement l’écrasement de toutes les cultures autres ? Et que vient faire ici la dénonciation des inégalités sociales ? Où l’on voit que la concession machinale de la possibilité de faire quelque chose pour ces langues recouvre en réalité une méfiance profonde à leur égard.
– J.F. Chalot, l’homme des associations familiales laïques[6], commence quant à lui par entonner un hymne ébouriffant à la langue française, langue des « idéaux de progrès sur terre et d’égalité », la « langue qui porte en soi la raison » (on en conclut que toutes les autres langues de la planète portent en elles la folie ou la stupidité), face aux « patois des zones rurales conservatrices sous la coupe des superstitions et de la religion ».
Bref, la Charte des langues régionales, dont la promotion coûterait des centaines de millions d’euros » (avec nos sous ! un peu de poujadisme pour la route…), encouragerait le séparatisme, pour ne pas dire le retour aux provinces d’Ancien Régime, le tout favorisant « une Europe des régions opposée à l’Europe des Nations ». Il nous semble avoir entendu cette formule employée par des gens qui politiquement n’étaient pas vraiment à gauche… Ce Chalot est sans doute celui qui va le plus loin dans la direction de ce qu’il faut bien appeler un nationalisme très classique.
– Ce cliché du retour aux provinces d’Ancien Régime débouchant sur l’Europe des Régions, on le retrouve chez un certain Lahoz, « syndicaliste libre-penseur » qui ne représente apparemment que lui-même dans cet aréopage : « l’Europe des régions, c’est l’Europe des paroisses de l’Ancien Régime. C’est pourquoi, nous, libres penseurs, n’oublions pas qu’il s’agit de l’Europe vaticane ». On croyait que les pangermanistes du FUEV tiraient les ficelles, à moins que ce ne soit le Grand Capital, non, finalement, c’est le Pape…
David Gozlan, secrétaire national de la Libre Pensée enfonce le clou contre la Charte européenne, comme « retour à la vieille France, celle qui dénonce la République, qui cherche à la confisquer, à la pervertir ».
Même refrain chez J.S. Pierre, qui lui, voit déjà ressusciter le Saint Empire Romain Germanique des Länder ».
Pour Yves Pras, d’Europe et laïcité : « une Europe des Régions, c’est une Europe dans laquelle les patois redeviendront langue, pour ne laisser la place qu’à une langue commune infecte, qui ressemble vraiment de très loin à l’anglais. » Tout au plus accepte-t-il l’idée qu’il y ait « un enseignement optionnel d’une heure ou deux hebdomadaires, pourquoi pas ? » Pourquoi pas en effet, c’est même ce que prévoyait déjà la loi Deixonne… « Mais que l’enseignement se fasse dans une langue locale ou régionale, non ». C’est clair.
Quelques phobies partagées…
On voit bien que toutes ces interventions ont en commun un certain nombre de phobies : l’Europe est la plus évidente, mais il y aussi, quelles que soient les contorsions rhétoriques dont il s’entoure, un mépris glacé pour les patois. Et en face, une idole, la Nation, française bien sûr, et sa langue, menacées par des forces obscures, dont on a vu que selon les orateurs elles ne se confondaient pas forcément : les Allemands, le Pape, les anglo-américains… Tous de toute façon appuyés par des ennemis de l’intérieur, leurs complices.
Tout cela est revêtu, si on laisse de côté le complotisme qui sert de fonds de commerce à Françoise Morvan, d’un badigeon d’apparence progressiste : dénonciation du capital, des inégalités sociales, défense de la République et de la laïcité. Sauf que ça ne marche pas, parce que cela repose sur un échafaudage d’approximations et de raccourcis intellectuels hasardeux.
- Il y a la dramatisation de la Charte, et l’affirmation que même si la France l’a signée a minima, la logique des choses veut qu’elle s’applique un jour dans toute sa force : d’où le tableau apocalyptique que l’on a signalé, celui d’une France où le facteur breton muté à Toulouse devrait apprendre l’occitan, où l’on ne pourrait devenir juge en Corse qu’à condition de maîtriser le corse, où des emplois seraient réservés aux seuls locuteurs de telle ou telle langue régionale.
- Il y a l’assimilation de toute défense des langues régionales au camp, selon les cas, de la Réaction ou à celui du Grand capital : ce n’est pourtant pas la même chose. L’idée de toute façon que tout combat d’apparence culturelle pour une langue recouvre en fait un projet politique, celui de la fameuse Europe des Régions. Or on peut parfaitement vouloir un statut convenable et une présence dans l’espace public pour l’occitan sans revendiquer pour autant son imposition à qui que ce soit, et sans envisager pour les territoires où on parle occitan un statut institutionnel qui en fasse des entités politiques. Par ailleurs, imaginer que le grand capital rêve forcément d’une Europe des régions qui lui permette de contourner l’obstacle représenté par le niveau national, c’est négliger le fait que le Grand capital mondialisé a déjà suffisamment de moyens de contourner le dit obstacle pour ne pas avoir besoin de s’embarquer dans une croisade pour une Bretagne libre. Le fait qu’une fraction du patronat breton puisse jouer avec ce genre d’idées n’y change rien : que pèse ce patronat au regard des vrais maîtres du jeu, et surtout jusqu’à quel point prend-il lui-même au sérieux sa propre rhétorique ? Dans l’état actuel des choses, c’est le dialogue (musclé) avec l’Etat qui est prioritaire pour le patronat, comme toujours en France depuis bien longtemps, surtout si ce dialogue débouche sur des concessions de la part du gouvernement ; l’identité régionale attendra.
- Sur la question des langues ou patois, il y a, on l’a vu, l’idée que tout compte fait elles ne se portent pas si mal.
- Il y a aussi l’idée, entrevue chez Riera, que somme toute, la langue est une affaire privée, qui n’a pas à avoir une place quelconque dans la sphère du public. Ce qui, poussé à terme, signifie tout bonnement que c’est aux familles d’assurer l’enseignement des langues régionales, et que si l’école doit s’en mêler, ce n’est pas à l’Education nationale de s’en charger, mais, au mieux, aux collectivités territoriales qui le souhaitent, ou alors, au privé. Beaucoup des orateurs célèbrent les louanges de l’article 2 de la Constitution qui fait du français la langue de la République Aucun ne signale l’article 75-1 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France »[7]. À mon avis, ce n’est pas parce qu’ils ont compris qu’il n’avait aucune incidence pratique, mais parce que même sous la forme embryonnaire qui est la sienne, il affirme la compatibilité de l’usage d’une langue régionale et de la participation à la culture nationale. Encore le résultat d’une manœuvre sournoise des Prussiens ?
Un badigeon progressiste ?
Pour dire les choses crûment : j’ai parlé de badigeon progressiste. Sous ce badigeon, et sous ces protestations amphigouriques de fidélité à la République et à la laïcité, se cache en fait un très banal nationalisme bourgeois.
Il ne faut donc pas s’étonner de trouver sous la plume de nos intervenants des apparentements bien étranges.
C’est J.S. Pierre, Président de la Libre Pensée qui face à « l’infamie des socialistes » porteurs en janvier de la proposition de loi constitutionnelle permettant (un jour peut-être…) la ratification de la charte, déclare ne trouver de véritable allié dans la défense de la vraie France que du côté de… Henri Guaino, quitte à ajouter « on ne manquera pas de nous dire que nous sommes en collusion avec la droite UMP. La technique de l’amalgame a ses limites ». Sans doute, sans doute. Et puis Henri Guaino, apparemment, est en délicatesse avec (ce qui reste de) l’UMP. Et puis, le personnage en lui-même est plus distrayant qu’autre chose. Certes, certes. Mais il y a plus grave.
Il n’est plus possible aujourd’hui de se contenter de crier « laïcité, laïcité » pour se voir décerner d’autorité un brevet de progressisme. Pas depuis que le Front National a commencé à reprendre à son compte le terme. Pas depuis que Riposte laïque[8], bâti au départ sur des bases assez semblables à celles dont se réclament les organismes présents ce 10 mai à la Bourse du Travail, s’est ensuite retrouvé assez loin à droite.
On nous pardonnera de ne pas être disposé à acheter chat en poche et à faire confiance a priori à n’importe qui du moment qu’il psalmodie les mots magiques « laïcité » et « République ».
Et on voudra bien convenir que si atteinte à la laïcité il y a (et il y a, malheureusement) ce n’est pas du côté des langues qu’il faut chercher les coupables : que ces défenseurs de la laïcité s’occupent donc des dérives de certains zélateurs des grandes religions monothéistes, catholiques, protestants évangélistes, israélites, musulmans, et qu’ils nous fichent la paix.
De même qu’il ne suffit pas de crier « République, République », pour être forcément progressiste. Tout le monde est républicain, aujourd’hui. Qu’il suffise de penser au nombre d’anciens chevènementistes, qui n’avaient que le mot de « République » à la bouche, se retrouvent aujourd’hui au FN ou très proche de lui.
La défense de la francophonie appelle les mêmes remarques
C’est ici le moment de mentionner une des associations représentées au grand raout du 10 mai : le COURRIEL[9] (Collectif Unitaire Républicain pour la Résistance, l’Initiative et l’Émancipation de la Langue Française – ouf.). Cette association – « progressiste » insiste-t-elle –, de défense du français face à l’avancée de l’anglais, vient de lancer une grande pétition contre la Charte. Dans cette croisade le COURRIEL s’est associé à d’autres groupements de défense du français (un domaine dans lequel la règle semble être un foisonnement aussi intense que pour la défense de la laïcité).
Une recherche internet rapide sur ces groupements réserve quelques surprises, moyennement agréables. Certes, nous n’oublions pas que J.S. Pierre refuse tout amalgame entre ses positions et celles de l’UMP. D. Gozlan pour sa part rejette avec la même indignation toute ressemblance avec un Front National qui lui non plus n’aime ni la Charte ni les langues régionales. L’amalgame, c’est pour les autres. Fort bien. Pas d’amalgame donc. Ceci étant, qui trouvons-nous parmi les valeureux cosignataires de la pétition de COURRIEL ?
– « Avenir de la langue française »[10], dont le président est un énarque, ancien diplomate, Albert Salon, collaborateur occasionnel du site Boulevard Voltaire, et membre éminent à ses heures perdues du Forum pour la France et du mouvement démocrate français, d’obédience gaulliste. Ce personnage a soutenu en 2002 la candidature de Chevènement avant de se rallier en 2007 à celle de Dupont-Aignan, le révolutionnaire bien connu.
– « Association Francophonie Avenir »[11] représentée par Régis Ravat, membre par ailleurs d’une Alliance pour la souveraineté de la France fondée en 1997 par un aréopage où ce Ravat voisine avec Christine Boutin, Louis Alliot, Jacques Myard, autant de personnalités qu’on ne présente plus, Paul Marie Couteaux, qui en 1997 n’était à vrai dire pas encore arrivé au point où on le trouve aujourd’hui, sans oublier Pierre Hillard, un autre pourfendeur de la charte situé lui aussi assez loin à droite, Albert Salon, notre toute récente connaissance et son mouvement démocrate français. Plus quelques seigneurs, au sens propre, de moindre importance, comme Michel de Poncins (« catholiques pour les libertés économiques »), Pierre Pujo (Aspect de la France), sans oublier Michel de Soulages, « représentant du comte de Paris ».
– Passons sur « Défense de la langue française[12] », dont le premier président fut Jean Dutourd, remplacé par la suite par Angelo Rinaldi (de l’Académie Française) qui considère le corse comme une simple langue de bergers, et qui a démissionné en 2011 quand son mouvement a décerné un prix Richelieu à Eric Zemmour, qui avait déjà eu maille à partir avec la justice pour le genre de propos que l’on devine. Rinaldi a depuis été remplacé par un autre académicien à propos duquel je en sais rien.
– L’Asselaf (« Association pour la sauvegarde et l’expansion de la langue française[13] », présidée par Philippe de Saint-Robert, un vieux routier du lobbying francophone, ordinairement défini comme « gaulliste de gauche », quel que soit le sens qu’on peut donner à cet oxymore.
– « Droit de comprendre[14] » (le français, s’entend), dont le secrétaire général est un certain Marc Favre d’Echallens, par ailleurs intervenant assez régulier sur Radio Courtoisie.
COURRIEL se définit comme une association progressiste, et je ne vois pas de raison de douter de la sincérité de cette profession de foi. Mais il me semble que ses animateurs auraient pu se renseigner un tout petit peu sur le pedigree de leurs nouveaux compagnons de jeu. Il me semble distinguer parmi eux des trognes bigrement inquiétantes. Maintenant, ce que j’en dis, hein ?
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Pour être clair, je n’accuse nullement les divers orateurs qui se sont succédé le 10 mai d’accointances avec l’extrême droite. J’ai plutôt le sentiment (mais je me trompe peut-être) qu’il s’agit dans un certain nombre de cas de gens venus de certaine secte post-gauchiste coutumière du changement régulier de sigle, spécialiste de l’entrisme dans diverses associations, quitte d’ailleurs à en créer d’autres à côté, et dont les membres sont ordinairement reconnaissables à leur façon de se succéder à la tribune pour reprendre inlassablement, et plus ou moins habilement, les mêmes éléments de langage stéréotypés. Quoi qu’il en soit, il me semble que sur la question qui nous occupe, ils font fausse route, courent le risque de se trouver associés, bon gré mal gré, à des partenaires très peu fréquentables, et passent complètement à coté d’un certain nombre de faits fort simples.
- Si le danger maximal pour la laïcité, la République, la cohésion de la société française était la Charte des langues régionales, ça se saurait. Il suffit d’ouvrir les journaux, les yeux et les oreilles pour trouver mille dangers bien plus pressants.
- La Charte n’est pas l’alpha et l’oméga de toute politique de prise en compte, par la Nation française dans son ensemble, de la richesse de ses cultures, trop longtemps méprisées par ses classes dominantes, et ceux qui à gauche ne se sont pas posé assez de questions sur le sujet.
- Même s’il peut exister, parmi ceux qui s’occupent de l’une ou l’autre des langues régionales, des personnages ou des organisations peu sympathiques, quiconque connait un peu le milieu sait bien qu’il se caractérise par une grande diversité idéologique. On y trouvera donc des gens qui peuvent considérer qu’ils n’ont pas de leçons de progressisme à recevoir des invités de la rencontre du 10 mai, quels que soient leurs mérites (car ce sont sans doute tous des hommes et des femmes honorables).
Par contre ils peuvent partager avec eux un certain nombre de convictions simples
- Il n’est pas question d’opposer le français et les langues régionales, mais de les associer dans le projet de la construction d’une culture française ouverte et tolérante face à une diversité qui ne serait plus perçue come une menace, mais comme une chance.
- Face au risque d’uniformisation culturelle autour d’une forme dégradée de culture anglo-saxonne, portée par le capitalisme mondialisé, les langues régionales ne sont pas ennemies, mais alliées au français et à toutes les langues que cette uniformisation met en danger.
- et en tout état de cause, ce risque d’uniformisation est lié à des forces et à des moyens suffisamment puissants pour pouvoir se passer du recours à quelque instrumentalisation des langues régionales que ce soit.
Voilà ce qu’un certain nombre d’entre nous auraient pu dire aux participants à la rencontre du 10 mai. Il n’est malheureusement pas certains qu’on les aurait écoutés et compris…
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Rencontre nationale du 10 mai 2014 à la Bourse du Travail Contre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires Pour la défense de l’unité de la République[15]
La séance était placée sous la présidence de Christian Eyschen, vice-Président de la Fédération nationale de la Libre Pensée. Il présente la tribune et les associations qui doivent intervenir et présente les excuses de Gilbert Abergel pour le Comité-Laïcité-République. Il donne ensuite la parole à Sylvie Midavaine qui lit la communication de Françoise Morvan.
Communications de Françoise Morvan lue à la tribune par Sylvie Midavaine
Le problème que pose la Charte des langues régionales ou minoritaires n’est pas le problème de la Charte mais le problème de la forfaiture des élus et des médias, les uns et les autres trahissant l’intérêt général par calcul, par ignorance ou par indifférence.
LA CHARTE
La Charte n’aurait pas dû mobiliser plus d’une heure de notre temps : le rôle d’un gouvernement soucieux du bien public aurait été d’exposer ce qu’est ce texte, quels enjeux il implique et pourquoi un pays républicain ne peut pas le signer. Je dis une heure mais il ne faut pas dix minutes pour développer ces trois points :
- Ce qu’est la Charte:
- La Charte est l’œuvre d’un lobby ethniste, l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes (UFCE), dont le but proclamé est d’« aider les minorités ethniques à préserver leur existence biologique et culturelle ».
- Elle n’est qu’une partie d’un dispositif visant à faire reconnaître les droits des « minorités ethniques ». L’UFCE a fait adopter par le Conseil de l’Europe, d’une part la Charte des langues régionales ou minoritaires et d’autre part, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, toutes deux entrées en vigueur en 1998. Ce dispositif est sans ambiguïté : il s’agit d’instaurer une Europe des régions sur base ethnique, ce que montre d’ailleurs la carte disponible sur le site du Conseil de l’Europe, et de faire éclater les États-nations, comme le réclament les fédéralistes.
- Ses enjeux :
- Sur cette base, la Charte indique logiquement que les locuteurs des « groupes minoritaires » ont le « droit imprescriptible » d’exiger l’usage de leur langue dans « la vie publique et privée ». Elle implique donc de reconnaître à des groupes minoritaires des droits particuliers et d’accorder à tout locuteur d’un groupe minoritaire le droit de se faire traduire tous les textes de loi et de bénéficier en tous lieux des services publics dans sa langue.
- Contrairement à ce que laisse accroire son intitulé, la Charte ne vise nullement à défendre des langues régionales ou minoritaires mais les langues de minorités ethniques rattachables au sol du pays signataire : l’article 1 le précise bien, la Charte « n’inclut ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l’État ni les langues des migrants ».
- Sa teneur
- Un tel texte est contraire à la Constitution garantissant à tous les citoyens l’égalité devant la loi.
- Il est contraire à la Constitution qui stipule que la langue de la République est le français : or, le but visé par la Charte est de donner statut de langues officielles aux langues minoritaires.
- Il est inégalitaire et induit une ostracisation de langues tout aussi minoritaires que les langues des autochtones supposés ethniquement distincts (ainsi le gallo, parlé en haute Bretagne, devrait-il être exclu, mais le breton défendu, d’après la Charte).
Contraire à la Constitution et contraire à l’intérêt général, ce texte n’avait pas lieu d’être signé. Il aurait fallu que la France s’oppose haut et clair à la promotion par le Conseil de l’Europe de chartes concoctées par des groupes de pression à l’idéologie nauséabonde. S’il y avait un problème à résoudre, c’était (et c’est) celui-là.
La signature
Au lieu de s’en tenir à ces explications accessibles à tous, les socialistes, à la suite de Lionel Jospin, se sont fourvoyés de manœuvres en manipulations pour rendre la Charte ratifiable.
- Première manipulation : la Charte n’est pas compatible avec la Constitution ? Un juriste est mandaté pour rédiger une « déclaration interprétative ». Problème : l’article 21 précise que la Charte « interdit toute réserve » (hormis sur des articles mineurs).
- Deuxième manipulation : la Charte exclut les dialectes et les langues des migrants ? Un linguiste est mandaté pour définir les langues minoritaires à défendre. Il en trouve 75 !
- Troisième manipulation : la Charte est contraire aux valeurs de la République ? Un politicien est mandaté pour remettre un rapport irénique et orchestrer la désinformation.
Conclusion : alors que l’Allemagne (qui subventionne l’UFCE) a mis des années à définir le (très faible) nombre de langues retenues et en définissant méticuleusement quels articles de la Charte s’appliquent pour chacune, la France a signé en bloc pour 75 langues minoritaires allant du bourguignon-morvandiau à l’arabe dialectal en passant par le pwapwâ, le pwaamei et autres langues de Nouvelle-Calédonie.
LA RATIFICATION
Le Conseil constitutionnel s’étant opposé à la ratification, le débat semblait clos. Après l’avoir rouvert en inscrivant la ratification dans son programme électoral, François Hollande l’avait refermé en annonçant qu’elle n’était plus à l’ordre du jour.
C’était sans compter avec le lobby breton fédérant autonomistes et patronat ultralibéral… Les Bonnets rouges se déchaînent (avec la bénédiction des élus et notamment du ministre de la Défense et ancien président du Conseil régional de Bretagne). Le gouvernement cède et, prime à la casse, signe un « pacte de solidarité » parfaitement inéquitable, pacte aux termes duquel sont accordées la ratification de la Charte et la « dévolution » de la Culture et de l’enseignement des « langues de Bretagne ».
Ainsi quelques milliers de manifestants, manipulés par des chefs d’entreprise appelant à une déréglementation généralisée, se sont-ils trouvés imposer au pays tout entier, au nom de quelques millions de Bretons qui, eux, ne manifestaient pas, la modification de la Constitution et la régionalisation de la Culture.
Il faut le souligner, la ratification, sur la base de la Constitution modifiée, ne calmera en rien les partisans de la Charte. Bien au contraire, ils n’ont d’ores et déjà de cesse que de dénoncer la France qui a trouvé le moyen de trahir la Charte en ajoutant deux paragraphes à l’article 53-3 adopté le 28 janvier dernier : « Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que :
« 1. L’emploi du terme de « groupes » de locuteurs dans la partie II de la charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la charte dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ;
« 2. Le d du 1§ de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »
Ratifier la Charte sur cette base serait constitutionnaliser l’absence de reconnaissance de groupes bénéficiant de droits particuliers et l’usage du français dans la vie publique. On serait en droit de penser que cela n’apporterait rien, puisque cela découle de la Constitution actuelle, mais cela reviendrait à graver dans le marbre les principes fondamentaux que la Charte met en cause. Le texte de la Charte ne prévoyant pas de recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme, la juridiction européenne ne pourrait prévaloir sur la législation française. Il va de soi que pour les autonomistes et autres partisans de la Charte, le combat prioritaire consiste désormais à faire supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 53-3 mentionnant les deux points de la déclaration interprétative.
Si les Français étaient amenés à se prononcer par référendum sur cette proposition de loi, ils seraient (d’après un récent sondage) 54 % à voter non. Comme, par suite d’une nouvelle manœuvre, la proposition de loi a été changée en projet de loi, il suffirait que le congrès se prononce aux trois-cinquièmes des voix. Mais, même si le projet de loi était rejeté, le but aura été atteint : fédérer toute une frange de droite et gauche autour de thèmes antirépublicains associant régionalisme et liberté, multiculturalisme, pureté des idiomes et haine de la France, en plein accord avec les militants de l’Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes à l’origine de la Charte.
Jamais la propagande n’aura été aussi massive dans les médias régionaux ; jamais la désinformation n’aura été aussi totale : c’est à qui dénoncera la France archaïque, mouton noir de l’Europe, seule à refuser de ratifier la Charte (alors que de nombreux pays ne l’ont ni signée ni ratifiée) ; c’est à qui vantera l’innocuité totale d’un « texte a minima », infime petit pas vers une normalisation du statut de nos pauvres langues « minorisées » (alors qu’il s’agit bel et bien de leur donner le statut de langues officielles, quand bien même elles ne sont plus parlées que par une poignée de militants). Jamais la censure n’aura été aussi redoutablement hermétique : seuls ont la parole les militants qui se sont engagés dans le combat pour la ratification, écologistes alliés aux autonomistes dans l’Europe entière ou indépendantistes de gauche ou de droite, d’extrême gauche ou d’extrême droite.
En conclusion, pour ce groupe de pression appuyé par les médias, la ratification ne changera rien puisque la France aura trahi la Charte. Et les élus auront perdu un temps considérable à diviser le pays, attiser les revendications régressives et faire flamber les communautarismes. Enfin, il ne faut pas l’oublier, la Charte joue depuis le début le rôle de catalyseur, servant à détourner l’attention des problèmes réels. En l’occurrence, les bruyants débats à son sujet permettent aussi de faire oublier le premier acquis des Bonnets rouges, le projet dans lequel s’inscrit la ratification, à savoir la « dévolution », c’est-à-dire l’éclatement programmé du ministère de la Culture — et ce, sans que les Bretons eux-mêmes soient conscients de ce qui se joue en leur nom et sans que le reste du pays soit informé de l’entreprise de destruction en cours.
Exposé de Jean-Sébastien Pierre, Président de la Libre Pensée
Chers camarades, chers amis, citoyens, il y a presque quinze ans, le 30 janvier 1999, beaucoup d’entre nous étaient déjà réunis ici même, sur le même sujet. Cela ressemble à l’œuvre d’Alexandre Dumas qui faisait suivre « Les trois mousquetaires » de « Vingt ans après ». Comme on dit d’après Horace, « bis repetita placent ». En l’occurrence, cela ne nous plait guère, puisqu’il s’agit de la Charte Européenne des langues régionales et minoritaires.
5 novembre 1992 : adoption par le Conseil de l’Europe, sous l’influence de la FUEV, ou UFCE, principal rédacteur de la charte qui constitue le sujet de la réunion de ce jour. Le processus de signature et de ratification par les états commence.
- 1995 : adoption par le Conseil de l’Europe de la Charte de Protection des Minorités Nationales.
- 1999 : Président de la République, Jacques Chirac ; premier ministre, Lionel Jospin.
- 1999 : manifestation contre la charte, à l’initiative de la Libre Pensée.
- 2000 : colloque national à Nantes sur les langues régionales et minoritaires et les mouvements qui demandent des mesures en leur faveur.
A l’origine de la charte européenne des langues régionales et minoritaires
(Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen : Union Fédéraliste des Communautés Ethniques Européennes / U.F.C.E.) La FUEV citation du GRIB (Groupe Information Bretagne) : « Cette organisation revendique clairement et fièrement sa filiation avec le « Congrès des nationalités » d’avant-guerre (1925-1938) qui se tenait à Genève dans le cadre de la S.D.N. A cette époque déjà, les associations qui participaient à ces « congrès » défendaient une conception ethnique de la nation fondée sur le racisme biologique. L’objectif pour les « congrès » consistait essentiellement à regrouper dans un Reich grand-allemand les minorités allemandes que les traités de Versailles, St Germain et Trianon avaient enlevées au IIe Reich et à l’Autriche-Hongrie en 1918-1920. En d’autres termes, il s’agissait de réviser les frontières des états européens au seul profit de l’Allemagne. Pour autant les « minorités nationales » de France n’étaient pas oubliées : Alsaciens, Basques, Bretons, Corses et Flamands faisaient l’objet d’une extrême sollicitude de la part de ces « congrès »3. Aussi n’est-il guère étonnant de constater que les militants des « Nationalitäten-Kongresse », regroupés autour de leur organe mensuel officiel « Nation und Staat » (Nation et Etat), ont fait cause commune avec le régime nazi.
Pour bien marquer la continuité idéologique avec le passé, la F.U.E.V., elle-même portée sur les fonts baptismaux à Versailles (!) en 1949, a décidé symboliquement de poursuivre pour sa nouvelle revue officielle Europa Ethnica (tout un programme !) la numérotation de sa devancière Nation und Staat qui avait dû interrompre sa parution en 1944 pour des raisons que l’on devine aisément, les deux publications ayant le même éditeur : les Editions Braunmüller, à Vienne (Autriche).
Jean-Sébastien Pierre
Tels sont les principaux rédacteurs de la Charte. Il se trouve que leurs intérêts, qui coïncidèrent jadis avec ceux du IIIème Reich, convergent aujourd’hui avec ceux d’une Union Européenne qui se veut « Europe des régions ». Dans ce cadre, tout ce qui peut fragmenter les états-nations est bon.
La convention cadre pour la protection des minorités nationales. Strasbourg :
Le contenu de la charte
Fin août 1998, le congrès de Lomme de la Libre Pensée intitulé « Appel à tous les citoyens ; la République une, indivisible et laïque, est en danger », lançait cet avertissement : « Ceux qui dirigent la société sont passés maîtres dans l’art du double langage : pas d’idée, pas de concept exprimant la volonté d’émancipation des hommes des chaînes de l’oppression économique et idéologique – notamment religieuse – qui l’accablent, qui n’aient été dévoyés et détournés de leur sens pour duper le peuple et faire passer pour libérateur ce qui est en fait oppressif et obscurantiste. »
Tel en est-il de la charte, qui se présente comme un texte de liberté. Puisqu’il faut nous répéter, répétons-nous. Le texte de la charte n’a pas changé, notre position sur ce texte non plus. Rappelons ses principales caractéristiques.
Il faut signer au moins 35 paragraphes parmi ses 23 articles.
Proposée comme « traité européen », elle se compose de 23 articles et quatre-vingt-quinze paragraphes. Pour en être signataire, un état membre doit ratifier au moins trente-cinq paragraphes, soit un peu plus du tiers. Cette modération apparente, cette volonté de souplesse ont conduit divers exégètes et commentateurs, notamment dans le gouvernement de l’époque, à évoquer la possibilité rassurante d’une signature a minima du document. C’est la démarche qui est reprise aujourd’hui. Cette attitude permettrait, selon eux, de ne signer que ce qui est conforme à la constitution française voire à ratifier ce qui se fait déjà dans le domaine éducatif et culturel au titre de la loi Deixonne par exemple. Selon cette lecture des obligations entraînées par la ratification, en fait « cela ne mangerait pas de pain ». Si l’on essaie de choisir les 35 paragraphes définis ainsi comme anodins, nous entrons dans un gymkhana juridique où se découvre la véritable structure du document. En effet, il ne s’agit pas de signer trente-cinq paragraphes au hasard. Il y a comme on dit des « figures imposées ». Quelles sont-elles ?
D’abord, les parties I et II sont à prendre en bloc. Elles ne se discutent pas, il n’y a pas de choix. Les trente-cinq paragraphes doivent être choisis dans la partie III. La partie I comporte des dispositions générales et la partie II les objectifs et principes poursuivis. La ratification de la charte implique donc l’adhésion pleine et entière aux dispositions générales, objectifs et principes. Quels sont-ils ?
Tout d’abord, la charte exclut explicitement les dialectes de la langue officielle de l’Etat et les langues des migrants (l’arabe, le turc, le portugais, les langues de l’Est,…). L’article 2 de la partie I précise explicitement que tout signataire s’engage à appliquer les dispositions de la partie II. Il précise que les trente-cinq paragraphes ou alinéas choisis parmi les dispositions de la partie III doivent comporter au moins trois alinéas dans chacun des articles 8 et 12 et un dans chacun des articles 9, 10, 11 et 13.
Que sont ces articles ?
- Article 8 : enseignement
- Article 12 : activités et équipements culturels
- Article 9 : justice
- Article 10 : autorités administratives et services publics
- Article 11 : medias
- Article 13 : vie économique et sociale
Ils recouvrent donc toutes les institutions de l’Etat à l’exception des forces armées. Nous détaillerons un peu plus tard, mais d’abord, examinons de plus près la partie II, à savoir les objectifs et principes.
Article 7 titre 1 :« les parties fondent leur politique, leur législation et leurs principes sur […] « le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire, en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire. » Il s’agit d’une invitation au découpage linguistique du territoire, voire à l’adaptation des divisions administratives au fait linguistique. La relation avec l’Europe des régions, pays, terroirs est patente.
Paragraphe d : « la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ». Intrusion du particularisme linguistique dans la vie publique et… ingérence dans la vie privée des citoyens !
Article 7 titre 2 : « […] L’adoption de mesures spéciales en faveur des langues régionales ou minoritaires, destinées à promouvoir une égalité entre les locuteurs de ces langues et le reste de la population ou visant à tenir compte de leurs situations particulières, n’est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues. »
Voilà qui serait une grande nouveauté dans la juridiction française : la définition d’une opinion officielle, ce qui ouvrirait la voie au délit d’opinion pour tout citoyen français qui estimerait discriminatoire, par exemple, la diffusion généralisée d’émissions de télévision dans une langue régionale.
Rappelons-le : tout cela n’est pas optionnel. Tout état contractant adhère à ces principes généraux définis dans les deux premières parties. Tout au plus un état peut-il assortir sa signature de réserves sur les paragraphes 2 à 5 de l’article 7. Le seul fait de ratifier la charte instaure donc bien le principe d’une société basée sur le multilinguisme, sur une base territoriale et communautaire. Le principe d’unicité de la république, les fondements du droit républicain sont bel et bien menacés.
Venons-en aux articles 8 et 12 dans chacun desquels, rappelons-le, trois paragraphes ou alinéas doivent être adoptés. Pour l’article 8, c’est très simple. Si on laisse de côté les quatre derniers alinéas qui définissent les modalités d’application des précédents, il reste à en adopter trois parmi six qui définissent six niveaux d’enseignement, de la maternelle au supérieur sans oublier la formation permanente. Il s’agit d’organiser dans chaque niveau un enseignement dans la langue régionale ou minoritaire. Le choix réel consiste donc à déterminer les trois niveaux dans lesquels cet enseignement pourra être organisé. Des sous alinéas instituent dans chaque niveau un système d’enchères à l’américaine.
Prenons l’exemple de l’enseignement primaire (alinéa b) : « […] les parties s’engagent […]
b I à prévoir un enseignement primaire assuré dans les langues régionales ou minoritaires concernées ; ou
II à prévoir qu’une partie substantielle de l’enseignement primaire soit assurée dans les langues régionales ou minoritaires concernées ; ou
III à prévoir, dans le cadre de l’éducation primaire, que l’enseignement des langues régionales ou minoritaires concernées fasse partie intégrante du curriculum ; ou
IV à appliquer l’une des mesures visées sous i à iii ci-dessus au moins aux élèves dont les familles le souhaitent et dont le nombre est jugé suffisant ; »
Tous les autres sont construits sous le même modèle dégressif. Même en choisissant la dernière option, la plus « légère », on s’engage à mettre en place un enseignement public dans une langue régionale ou minoritaire, éventuellement pour des communautés particulières sur la base – arbitraire – d’un nombre « suffisant » de demandeurs.
L’article 12 traitant des activités et équipements culturels, impose d’opter pour trois mesures de promotion des œuvres écrites ou réalisées dans les langues visées par la charte au moyen de traductions, doublages, post-synchronisations et sous-titrages dont on peut imaginer le coût. Il s’agit de financement public de la sphère privée.
Les articles 9, 10, 11 et 13 dans lesquels au moins un paragraphe ou alinéa doit être signé, contiennent également des dispositions dangereuses pour la lettre et l’esprit d’une législation républicaine. Pour ne pas allonger cet exposé, je me limiterai à citer un exemple pour chaque article :
« Article 9 – justice : Les Parties s’engagent […]c : à ne pas refuser la validité, entre les parties, des actes juridiques établis dans l’Etat du seul fait qu’ils sont rédigés dans une langue régionale ou minoritaire. »
« Article 10 – Autorités administratives et services publics : Les Parties s’engagent à prendre une ou plusieurs des mesures suivantes : […]c : la satisfaction, dans la mesure du possible, des demandes des agents publics connaissant une langue régionale ou minoritaire d’être affectés dans le territoire sur lequel cette langue est pratiquée. »
C’est ce que le Conseil régional de Corse a tenté de mettre en place dernièrement, c’est la politique que le Conseil Régional de Bretagne avait également tenté de promouvoir à propos des chèques-emploi dès l’année 2000. Cet article est particulièrement dangereux puisqu’il instaure la « préférence régionale » contre le statut de la Fonction publique. La loi votée en janvier 2014 par l’Assemblée nationale oppose un article interprétatif à cette disposition, nous verrons ultérieurement ce que cela vaut.
« Article 11 – Médias
- A) dans la mesure où la radio et la télévision ont une mission de service public : iii à prendre les dispositions appropriées pour que les diffuseurs programment des émissions dans les langues régionales ou minoritaires ; »
« Article 13 – Vie économique et sociale : les Parties s’engagent, pour l’ensemble du pays : b dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), à réaliser des actions encourageant l’emploi des langues régionales ou minoritaires ». L’énumération se suffit à elle-même. Nous sommes obligés de conclure que tout choix de trente-cinq articles ou alinéas respectant les spécifications de la partie II nous entraîne vers un changement de société : vers une société communautariste pluriculturelle où l’égalité des droits de tout citoyen devant la loi est, de fait, abolie, où le territoire est l’objet d’une nouvelle subdivision administrative sur une base linguistique, pourquoi pas ethnique. Cela fait froid dans le dos.
Décidément, pas plus aujourd’hui qu’hier la charte n’est acceptable, et on voit à quel point il s’agit peu de promotion culturelle. Il s’agit bien de territorialisation et d’ethnicisation dans un Etat-nation qui, dans son histoire républicaine, a réalisé son unité linguistique. Il s’agit bel et bien de la défaire, au profit des différenciations régionales.
Venons-en maintenant au débat de 2014
Les prises de position en 2014
Le débat à l’Assemblée Nationale : Le 10 décembre 2013 venait en débat à l’Assemblée Nationale, le projet de loi constitutionnelle n°1618, présentée par Bruno Le Roux et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen (SRC). Le projet de loi se réduit à un article unique : la possibilité de ratifier la charte, il est précédé d’un exposé des motifs très long et très agressif contre le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel. Nous y reviendrons un peu plus tard.
Le rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, prononce une très longue harangue parlant, dans l’abstrait, du sort – selon lui défavorable, fait aux langues locales en France. Cela lui permet de ne pas analyser la charte.
Sur son blog, un des derniers articles s’intitule : Faut-il réviser la constitution pour supprimer les départements ? Oui, conclut-il mais il existe des biais pour le faire sans révision : « la naissance de l’Assemblée de Bretagne que je prône et qui verrait la disparition des Conseils généraux bretons et du Conseil régional de Bretagne pour permettre la naissance concomitante d’une collectivité unique ne nécessite pas de modification de la Constitution. » Ah le brave homme ! Socialiste ? Républicain ? Ou autonomiste ? On peut se poser la question comme pour notre ministre des armées, longtemps président du Conseil Régional de Bretagne, Jean-Yves Le Drian, qui voulait nous fabriquer la fête « nationale » (si, si !) de la Bretagne sous le nom de Saint-Yves sur le modèle de la Saint Patrick irlandaise. Comme tout cela se rejoint !
Madame Aurélie Filipetti, ministre de la Culture, intervient ainsi : « La ratification de la Charte n’a nullement vocation à faire tomber nos principes constitutionnels les plus sacrés, contenus dans les premiers articles de la Constitution, fruits de notre histoire républicaine. Il ne s’agit en aucune manière de porter atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi, ni d’ouvrir des droits nouveaux à tel ou tel groupe sur des territoires déterminés. Les langues régionales sont le patrimoine indivis de la nation tout entière. Il s’agit plus simplement de reconnaître la pluralité linguistique interne de notre pays et d’en permettre l’expression en donnant aux langues régionales les moyens d’exister. » Elle ment, ou travestit la réalité. Nous avons démontré le contraire plus haut.
Il est évidemment douloureux de voir les principes républicains rappelés seulement par un homme politique dont nous avons peu de raison de louer l’action, lui qui fut l’éminence grise de Nicolas Sarkozy, je veux parler d’Henri Guaino, qui, soutenant une motion de rejet préalable à la ratification déclarait : « Vous connaissez, madame la ministre, monsieur le président de la Commission des lois, mes chers collègues, la teneur de cet avis [NDA : du conseil constitutionnel] qui a conduit le Président de la République à suspendre le processus de ratification : « La Charte Européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ; elle est également contraire au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elle tend à reconnaître un droit à pratiquer une autre langue que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ».
Après le « monde comme si » de notre amie Françoise Morvan, voici le monde à l’envers dans l’hémicycle. Le PS bradant honteusement la République en camouflant hypocritement le contenu du texte dont il demande la ratification, et le représentant UMP prononçant la seule note discordante sur le terrain de son réel contenu, et de la nécessité par conséquent de refuser sa ratification. Sur ce terrain, Guaino a raison. Le vote qui suivit est une honte historique. Ce n’est qu’une préparation à l’accentuation et à l’aggravation de l’acte III de la décentralisation, un prélude à la balkanisation et à la fragmentation communautariste du territoire, en faisant, au passage, disparaître les départements. C’est bien la ligne d’Urvoas et de de Madame Filipetti, c’est une infamie. C’est cette infamie que les citoyens alsaciens ont rejetée lors du « referendum » organisé dans le Haut et le Bas-Rhin.
Henri Guaino, saisissant l’occasion d’une chausse trappe au gouvernement, ajoute par ailleurs : « Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, l’actuel Président de la République a pris l’engagement de ratifier la Charte en modifiant la Constitution. Conformément à cet engagement, le Gouvernement a engagé une réflexion sur les modalités de cette révision constitutionnelle. Il a notamment installé, le 6 mars 2013, un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, et consulté par ailleurs le Conseil d’État. La conclusion que le Gouvernement a tirée de cette réflexion et de ces consultations, Mme la ministre de la Culture l’a résumée elle-même, de la façon la plus claire, lors de son audition par le Conseil consultatif, le 9 octobre 2013.
Je cite le compte rendu officiel : « Le Comité consultatif a été conçu, au départ, avec un objectif : trouver un moyen de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Les réflexions conduites ont abouti à un constat : la ratification s’avère impossible. Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification de la Charte est donc définitivement abandonné. » Voilà quel était alors le point de vue du Gouvernement – je dis bien « du Gouvernement ». Vous avez bien entendu, mes chers collègues : « Comme il est impossible de modifier la Constitution sans introduire une incohérence majeure en son sein, le processus de ratification est donc définitivement abandonné ». Cette position raisonnable et raisonnée du Gouvernement est apparue insupportable à ceux qui attendaient – je cite l’exposé des motifs du projet de loi qui nous est soumis – la chute de « la Bastille du monolinguisme d’État ». Les mots ne sont pas choisis par hasard. »
Encore hélas, c’est vrai. L’exposé du motif du projet de loi comporte bien cette expression : la chute de la Bastille du monolinguisme d’État. « Le candidat François Hollande nous l’avait promis, il allait faire ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, dans le prolongement du processus initié par Lionel Jospin en 1999 et brutalement interrompu par Jacques Chirac. Oui, nous croyions que la Bastille du monolinguisme d’État allait enfin tomber, comme elle l’a fait partout en Europe, sous les coups de boutoir de nos aspirations enfin satisfaites à la justice et à la dignité ».
Honte à ses rédacteurs.
On peut se souvenir d’ailleurs qu’Henri Guaino avait appelé à voter non au référendum de 2005. On ne peut lui nier une certaine cohérence. Cela dit, cette protestation de l’opposition est restée strictement circonscrite à l’hémicycle. Le 17 janvier 2014 à 17h30, la loi était votée par l’assemblée par 361 pour et 149 contre. Dans les explications de vote : ont voté pour, le groupe socialiste, le groupe écologiste, le groupe RRDP (radicaux et autres), le GDR (gauche démocrate et républicaine, communistes), le groupe UDI (UDF et apparentés). L’UMP a voté contre.
On ne manquera pas de nous dire que nous sommes en collusion avec la droite UMP. La technique de l’amalgame a ses limites. L’unité nationale qui s’est réalisée autour de la charte, est elle-même, comme on peut le constater, sans rivages à droite. Mais, comment l’article unique de la loi est-il rédigé ?
Article unique
Après l’article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
« Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que :
« 1. L’emploi du terme de “groupes” de locuteurs dans la partie II de la charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la charte dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ;
« 2. Le d du 1§ de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »
Ces deux restrictions mentales, qui, il faut le reconnaître, suffisent à faire hurler les groupes autonomistes bretons, alsaciens, corses et autres, sont pure hypocrisie uniquement destinées à obtenir les 3/5 des assemblées composant le Parlement. Une fois la charte ratifiée, elle est ratifiée. Contrairement aux arguties développées en 1 et 2, ces interprétations ne tiennent pas. Comme nous l’avons vu, la partie II, très précise, exclut cette interprétation. Les articles 7, 9 et 10 dans leur forme la plus minimale, sont très précis et imposent le droit d’usage des langues régionales dans la vie administrative, les medias, l’éducation. Elles ouvrent au contraire une situation de dualité juridique parfaitement dangereuse, ouvrant la voie à la construction d’une jurisprudence par les lobbys intéressés. Voilà encore une nouveauté : l’hypocrisie dans une loi constitutionnelle !
Partis et personnalités
On ne peut pas dire que ce vote, de quelque importance tout de même, ait déchaîné des flots de commentaires et de prises de position. L’évènement a tout de même fortement divisé le Front de Gauche, puisque le PCF a confirmé son soutien à la loi, tandis que Jean-luc Mélanchon s’y est opposé et a écrit à tous les députés en ce sens, avec des arguments très voisins de ceux que j’ai développés ici. Soulignons également deux prises de position importantes dans les media : Françoise Morvan, professeur de breton et traductrice, dans une interview à Mediapart a livré une analyse parfaitement exacte de la signification de cette loi. Nous avons entendu la contribution qu’elle a envoyée à notre assemblée. Dans Marianne, Madame Le Pourhiet, juriste et spécialiste du droit constitutionnel a publié un article intitulé ’Le front anti-républicain’, une analyse que nous partageons. Je salue évidemment les prises de positions des personnes et organisations présentes à cette tribune, Le Comité-Laïcité-République, le Conseil National des Associations Familiales Laïques, l’Union rationaliste, l’association Laïcité-Liberté, le Mouvement Europe et Laïcité (CAEDEL), le COURRIEL, et notre camarade syndicaliste et Libre Penseur Jean-Noël Lahoz, et bien sûr notre secrétaire général David Gozlan. Nous les entendrons dans quelques instants développer leur position
Mais qui revendique la ratification de cette charte ?
Evidemment, ce sont tous les activistes séparatistes, nationalistes viscéralement antirépublicains que nous connaissons. Il est clair que le ’mouvement des bonnets rouges’, fort composite, a pesé lourdement sur la décision du gouvernement, ainsi que les Conseils Régionaux de Bretagne et de Corse, fortement engagés dans leur conception particulièrement destructrice de la décentralisation. Il n’y a aucun mouvement populaire pour la ratification de cette charte. Le gouvernement a obéi, dans toute cette affaire, à une constellation de manipulations.
En conclusion
Le gouvernement a décidé d’accéder aux revendications séparatistes et régionalistes des partisans de l’Europe des régions, du Saint-Empire-Romain-germanique des Länders. Sous couvert de la promotion de langues régionales qui ne sont nullement menacées, il s’agit de redessiner la carte du pays en créant des régions de toutes pièces avec des « langues » différentes.
Rappelons-le encore, aucune langue « minoritaire » qui ne se rattache pas à un « territoire » n’est concernée par la mise en œuvre de cette Charte européenne. Sont exclus : l’allemand, l’espagnol, l’italien, le portugais, l’arabe, le turc. Les travailleurs immigrés n’ont à en attendre aucune aide ni considération. Il ne s’agit que d’idiomes qui permettent de redécouper le territoire de la République, parfois avec des arrière-pensées pour des régions frontalières d’autres pays : Pays basque, Pyrénées orientales, et même l’Alsace.
C’est la mise en œuvre de l’Europe des régions sur le cadavre des États-nations. Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, revendique que l’Acte III de la décentralisation donne le pouvoir réglementaire aux régions et futures régions en cas de redécoupage. C’est-à-dire la capacité d’édicter des lois, décrets et circulaires différents d’une région à une autre. Cela serait la fin de l’égalité en droit des citoyens
Cela serait la fin de la République une, indivisible, démocratique, laïque et sociale ! Ce texte ne doit pas être ratifié, avec ou sans déclaration interprétative. Pas plus aujourd’hui qu’hier ! Forgeons ensemble l’unité républicaine qui pourra mettre en échec cette forfaiture. Je vous remercie de votre attention.
***
Intervention de Ramiro Riera 1er vice-Président de l’Association Laïcité-Liberté
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Chers Amis, pourquoi suis-je devant vous aujourd’hui pour exprimer la position de l’association Laïcité-Liberté sur le sujet qui nous rassemble ? D’abord parce que j’en suis le vice-président après l’avoir présidée quelques années durant. Ensuite et surtout, en raison de mon passé professionnel qui m’a placé, dans les années 1995 à 2002, au cœur de la problématique que nous évoquons aujourd’hui.
Alors me voilà devant vous pour vous dire ce que mon association pense des entreprises en cours visant à ce que la France ratifie ladite Charte.
- Je ne vais pas revenir en détail sur le thème des langues régionales en droit interne français, car cela reviendrait d’une certaine manière à refaire l’histoire de France !
Car dès l’origine de la France, la langue a été considérée comme une composante à part entière de la Nation. Les étapes principales de l’intervention du pouvoir de l’Etat dans le domaine linguistique remontent à l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 puis à la loi du 2 thermidor An II qui a imposé la rédaction en français de tous les actes publics sous peine d’emprisonnement.
Il s’agissait à l’époque, en marginalisant les autres langues que le français, de répondre à la volonté de promouvoir une République égalitaire offrant à chaque citoyen la possibilité de s’inscrire dans une progression sociale bâtie autour de l’usage du français et de l’instruction publique. Je ne reviendrai pas devant vous sur le combat mené sur le sujet par l’abbé Grégoire et Ferdinand Bruno.
Cette perception d’une langue considérée comme une composante à part entière de la Nation perdure encore de nos jours. La loi du 31 décembre 1975 modifiée par la loi du 4 août 1994 en est un exemple. L’article 1er de cette loi du 4 août 1994 déclare, je cite « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France ». Cela dit, les langues régionales ont en France une certaine forme de reconnaissance à la suite de la promulgation de la loi du 11 janvier 1951 dite « loi Joseph Deixonne », et des lois du 10 juillet 1989 et du 25 juin 1999, cette dernière évoquant pour la première fois les langues minoritaires.
Complété par des circulaires, ce dispositif a permis aux collectivités locales qui le souhaitaient d’assurer l’émergence d’un enseignement linguistique régional. En outre, un conseil national des langues et cultures régionales et un institut privé supérieur des langues de la République française ont été institués. Cela dit, il est vrai que la place des langues régionales dans le paysage français reste encore relative.
- Pour ce qui concerne l’Europe, la situation est très différente. L’Europe est le continent de la diversité à bien des points de vue.
Mais surtout, la chute du mur de Berlin a eu pour conséquence la création d’Etats fondés sur des critères d’ordre ethnique, création qui s’est accompagnée de violences ethniques allant parfois jusqu’au nettoyage ethnique. D’où la création d’une conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, enceinte à l’origine de la mise en chantier par le Conseil de l’Europe de la rédaction de la convention sur la protection des minorités et de la Charte sur les langues régionales ou minoritaires.
La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été adoptée en 1992 et aussitôt ouverte à la signature des Etats membres. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 1998. En 2002, 28 Etats membres l’avaient signée et 15 seulement l’avaient ratifiée. Son objet fondamental est culturel, à savoir protéger et maintenir vivants des éléments essentiels du patrimoine européen.
Cette Charte comporte un préambule et cinq parties. Certaines de ses dispositions s’appliquent aux langues concernées, et pas seulement à celles déclarées par l’Etat membre signataire. En la parcourant, je relève que l’Etat signataire s’engage à fonder sa politique, sa législation et sa pratique sur, je cite « le respect de l’aire géographique de chaque langue régionale ou minoritaire en faisant en sorte que les divisions administratives existant déjà ou nouvelles ne constituent pas un obstacle à la promotion de cette langue régionale ou minoritaire », fin de citation, et sur, je cite encore « la facilitation et/ou l’encouragement de l’usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ».
Cette Charte ajoute, je cite « En définissant leur politique à l’égard des langues régionales ou minoritaires, les Parties s’engagent à prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». Fin de citation.
- La France a contribué à l’élaboration de cette Charte ; elle l’a signée le 7 mai 1999 assortie d’une déclaration interprétative, mais elle n’a pu la ratifier.
A plusieurs reprises, le gouvernement a débattu de la question de savoir si la France devait signer et ratifier cette Charte. En 1992 et 1994, la réponse a été négative car certaines de ses dispositions ont été considérées comme non conformes à la Constitution. En 1996, le Conseil d’Etat a été saisi pour avis et a émis un avis dans le même sens. En 1997, le gouvernement a demandé au professeur Guy Carcassonne un rapport sur le sujet. Ce rapport lui a été remis en septembre 1998.
Ce rapport considérait la Charte comme compatible avec la Constitution dès lors que le terme « groupe » était défini comme étant une « addition de personnes » et non comme « une entité qui serait distincte de ceux qui la composent ». D’où la signature de cette Charte par la France le 7 mai 1999 avec la déclaration interprétative sus évoquée.
En désaccord avec le gouvernement à ce sujet, le Président de la République saisissait le 20 mai 1999 le Conseil constitutionnel, lequel le 15 juin 1999 déclarait cette Charte non conforme à la Constitution.
Cette non-conformité résulte selon ledit Conseil :
d’une part, de ce que l’ensemble des dispositions de la Charte ont un caractère contraignant au plan juridique ;
d’autre part, de ce que la reconnaissance de groupes de locuteurs, le respect de l’aire géographique d’une langue régionale ou minoritaire et l’engagement de prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues portent atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ;
et, enfin, de ce que le droit pour les groupes de locuteurs d’imposer la pratique des langues régionales ou minoritaires porte atteinte à l’article 2 de la Constitution qui dispose que « la langue de la République est le français ».
En réaction à cette position, le Premier ministre proposera le 23 juin 1999 au Président de la République une révision de la Constitution, révision à laquelle celui-ci s’opposera. Je rappelle que l’un comme l’autre de ces deux responsables de l’Etat avaient peu de temps auparavant rappelé la place plus significative qu’il fallait réserver aux langues régionales dans notre Pays.
Depuis lors, les gouvernements ont pris des initiatives en interne en faveur des langues régionales. Certaines de ces initiatives ont croisé le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel sur leur chemin.
- Alors que faut-il penser de cette succession d’évènements et de positions sur le sujet ? Je le ferai ici sous la forme de questions et d’une conclusion.
première question : faut-il en France protéger et promouvoir les langues régionales ?
Mon association le pense. Elle considère que les langues régionales sont en elles-mêmes universelles ; elles appartiennent au patrimoine de l’Humanité avant d’appartenir au patrimoine de l’Europe ou de la France. Claude HAGEGE dans un article paru en 2000 soulignait qu’il existait dans le monde environ 5 000 langues parlées et que leur nombre s’amenuisait. Pour lui, avec la langue, meurt une manière de comprendre la nature, de percevoir le monde, de le mettre en mots.
deuxième question : fallait-il que le Président de la République saisisse pour avis le Conseil constitutionnel une fois la Charte signée, puis qu’il se refuse, une fois cet avis émis, à modifier la Constitution pour permettre la ratification de la Charte ?
Mon association le pense. Elle le pense d’autant plus que le débat sur la place des langues régionales en France s’inscrit de manière quasi-permanente dans un rapport de force entre les parties concernées. N’y a-t-il pas eu une demande de création d’un département basque ? Cette Charte est porteuse d’une dynamique légitimant les entités identitaires infrarégionales. Son application en France ne manquerait pas d’ouvrir la voie à l’institution d’autres dispositions juridiques de nature communautariste, ceci au nom notamment de ce que le principe d’égalité républicaine ne produit plus suffisamment d’égalité.
En d’autres termes, nous tournerions le dos à la République, celle qui, avec sa devise, accorde sa protection à tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion, en leur assurant l’égalité devant la loi. Cela dit, ne pas modifier la Constitution n’interdit pas à la République de protéger et de promouvoir les langues régionales dans le respect de la Constitution. Il suffit, pour ce faire, d’une volonté politique, d’une volonté de s’affranchir des revendications identitaires et d’une volonté de ne pas se laisser dicter de « l’extérieur » ce que nous devons être. La République est un dépassement de l’idée de démocratie et lui est bien supérieure.
ma conclusion à présent
Je ne doute pas un seul instant du bien-fondé de la démarche du Conseil de l’Europe en la circonstance. L’Europe a besoin de stabilité à présent qu’elle n’est plus divisée en deux blocs. Mais cette Charte est utile pour les pays de l’Europe centrale et orientale et pour les Pays qui ont une conception différente de la nôtre quant à la manière de promouvoir les droits universels. Pas pour la France dont le système démocratique est d’une nature particulière, si particulière qu’elle me fait situer le débat d’un point de vue plus global, mais tout autant philosophique. Je m’explique.
Quelle société voulons-nous promouvoir ? Celle des droits humains ou celle des droits de l’homme ? Celle qui garantit des droits individuels en ignorant la nécessité d’instaurer et de faire vivre un espace public – celui où se construit le lien social en dehors de toutes considérations liées à l’origine, la race ou la religion -, ou celle qui répond à cette nécessité ?
Car en réalité, la philosophie générale de l’action du Conseil de l’Europe, à raison même de sa composition, est actuellement celle des droits humains. A preuve, les travaux de la conférence européenne contre le racisme qui s’est déroulée du 11 au 13 octobre 2000 à Strasbourg où la délégation française a dû batailler contre le secrétariat et les autres organes qui lui sont liés à raison de leur vision communautaire de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. A preuve encore, la demande de la France que soit annexée à un rapport de l’ECRI sur la France – l’ECRI est organe du Conseil de l’Europe – autrement dénommée « commission européenne contre le racisme et l’intolérance », notre position concernant sa vision communautariste du problème étudié.
Vous comprendrez dès lors que mon association soit encore plus ferme dans son opposition à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Intervention d’Aliette Geistdoerfer, Secrétaire générale de l’Union rationaliste : Au prétexte de la défense des cultures régionales, une entreprise politique
L’Union rationaliste, lutte contre tous les dogmatismes, irrationalismes, contre tous les mouvements de remise en cause des finalités des sciences ; elle contribue à la propagande et au développement de l’esprit de recherche, des connaissances rationnelles dans tous les secteurs, tant de la nature, de l’homme et des sociétés et cela pour apporter les outils intellectuels facilitant le vivre ensemble, dans le respect du principe de laïcité de l’école et de l’État. Elle s’engage toutes les fois que le délire, la croyance irrationnelle, la foi, les dogmes s’opposent à la conscience et mettent en péril la liberté.
C’est pourquoi l’UR tient à participer à la lutte contre la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaire aux côtés de la Libre Pensée et de nombreuses organisations. Aujourd’hui, afin de compléter les arguments apportés par La Libre Pensée et les associations présentes qui nous précèdent, nous abordons les aspects sociologiques de ce projet de charte.
Nous reconnaissons la richesse culturelle des langues, quelles qu’elles soient, mais la question posée par la ratification est autre. C’est un outil de marketing pour un projet politique et une imposture scientifique / sociologique. La charte est une manipulation des réalités sociales et culturelles qui doivent, soi-disant, répondre des demandes populaires de bilinguisme, mais dans les faits, elles sont utilisées pour mieux construire autre chose.
Il ne s’agit pas en effet de la défense des sociétés régionales, de leurs cultures et de leurs langues, mais de la mise en place des bases d’une politique européenne des régions, de déstabiliser la république, de valoriser des particularismes régionaux brisant l’égalité des droits, en utilisant, “le culturel”, l’identitaire, le social, le minoritaire.
Nous affirmons d’emblée que les langues régionales sont un des éléments structurants des cultures régionales, lesquelles constituent en partie la « culture » française et doivent être, comme elles le sont depuis des années, soutenues par toutes les actions en faveur de leur pratiques, leurs connaissances, leurs expressions et par une augmentation des moyens, des personnels à cet effet.
La Charte : un nouvel outil politique
Nous avons connu « l’année du patrimoine » du ministre Lecat (Ministre de la culture sous Giscard d’Estaing) et ses utilisations socio-économiques par les gouvernements successifs. La signature de la charte serait la radicalisation politique de ce qui fut un “miroir aux alouettes” pour compenser régionalement la destruction des cultures ouvrières, artisanales, régionales, de ce qui fut un projet politique culturel réactionnaire devant compenser une politique de dislocation des sociétés régionales. Ce sont les mêmes qui disloquent, détruisent et qui doivent « construire » des outils de compensation édifiés suivant leurs modèles, leur projet politique soit des outils qui peuvent, qui doivent, neutraliser, détourner, tous mouvements socio-politiques.
Aujourd’hui, un changement d’échelle, le projet politique est d’ampleur – l’Europe des régions – dont le processus est entamé (referendum en Alsace), dont l’un des enjeux est de casser les valeurs socio-politiques, la République, la laïcité, la nation, en éliminant, au passage, de vraies minorités turques, algériennes, etc.
Imposture intellectuelle scientifique
Ce qui est présenté, principalement dans le préambule, comme des réalités culturelles sont pour la plupart des réalités construites, c’est-à-dire passées au crible de la politique désirée, soit des contrevérités. “Une charte” [1]1] qui ne tient pas compte de la très grande diversité des situations sociales, culturelles et linguistiques régionales et locales et qui assemble des dialectes et des langues au nom du fait que derrière les dialectes, il y a des langues “mère”, en effet, mais, par exemple, celle du parler Gallo – Côtes d’Armor et Ille et Vilaine – est le Français. Que faire ? Est-ce pour cela que déjà en Alsace, l’Allemand est enseigné dans des classes bilingues en fait d’Alsacien ?
Diversité de la popularité de ce souhait au « bilinguisme ». Chacun peut apprendre le Breton, l’Alsacien, le Corse, etc. quand cela est souhaité, et il est possible d’en améliorer les conditions. Qui souhaitent l’application d’un bilinguisme ?
La charte s’appuie, cela n’est pas nouveau, sur les groupuscules, dont le passé proche est entaché, souvent politiquement extrémistes (par exemple en Bretagne) qui renient l’Etat français, s’auto-victimisent, qui survalorisent, et donc veulent faire revivre, le celtisme et tous ses avatars les plus irrationnels et dangereux et qui voient, dans la construction, (totalement artificielle), d’une Europe des régions, l’acquisition de moyens politiques locaux, économiques et sociaux pour faire régner LEUR bretonnerie qui n’a plus rien de folklorique.
La charte s’appuie aussi, comme « les patrimonieux », depuis 1980, sur la demande d’une population, à l’échelle locale et régionale, qui peut être fragilisée – en quête de reconnaissance, d’identité, car celle-ci leur a été volée, qu’ils ont perdu en quittant leurs pays, leurs métiers, leurs familles, etc. pour partir travailler et vivre “ailleurs”.
La défense de ce bilinguisme est inscrit dans une défense des “cultures ethniques”, des “identités fortes”, comme osent le dire quelques-uns, manifestant leur méconnaissance, leur ignorance de ce qu’est un peuple, une communauté, des identités, culturelles, professionnelles, etc. et utilisant un vocabulaire qui “doit faire choc”, savant, comme ethnie, que même des anthropologues ou sociologues réactionnaires n’utilisent plus. Ces propos relèvent d’une imposture scientifique fréquemment utilisée par les nationalistes, les communautaristes et aujourd’hui le Front national.
La charte imposerait un bilinguisme afin de permettre « aux minorités » (lesquelles ?) d’une part de vivre en parlant « leurs » langues, « leurs » dialectes régionaux, identifiés comme marqueurs identitaires et éléments de « culture ethnique » qu’il s’agirait aussi de défendre.
Cultures régionales ?
Les cultures, soit des ensembles de pratiques spécifiques, communes à un groupe, à une communauté, à une société n’existent pas ex-nihilo. Elles sont l’expression d’une histoire sociale, économique, géographique, politique, elles sont construites par des gens qui vivent, travaillent, pensent, s’amusent, etc. ensemble et avec tous ceux qui, pour différentes raisons, se sont associés (voyageurs, étrangers) dans un même pays, une même localité, une entreprise, etc.
Ce que l’on appelle “cultures” depuis la nuit des temps évolue, se transforme. Les langues et dialectes, comme les autres éléments des cultures régionales, pratiques techniques, sociales, artistiques, rituelles, symboliques, etc. ont connu des sorts variables, d’un lieu à un autre de la France.
Les cultures régionales en France se ressemblent de plus en plus, car ceux qui aujourd’hui veulent soi-disant les défendre sont parmi ceux qui hier (et encore aujourd’hui) ont contribué à ce que disparaisse ce qui en faisaient les spécificités, la source, son appropriation de la nature, sa socialisation par le travail, le « vivre au pays ». Les mêmes ont artificiellement reconstruit cette culture passée, traditionnelle, et dont ils veulent faire la base d’un développement culturel qui n’est qu’un cache-misère dans plusieurs situations locales (fermetures des entreprises), une tromperie politique évidente.
Les spécificités qui permettaient non pas de parler de cultures bretonne [2]2], mais de cultures bretonnes par exemple ont été effacées, laminées, par une politique économique redoutable de destruction des activités locales par la centralisation des entreprises, etc. Les littoraux et campagnes ont été désertés au profit des villes et des zones d’emploi.
A la diversité des cultures, des pratiques, de la vie des gens, correspondait celles des langues, des dialectes s’inscrivant et évoluant dans des contextes socio-économiques différents, aujourd’hui transformés, voir en plein changements. A la dislocation des activités régionales celle des cultures et parlers. Les langues et dialectes, comme les autres éléments des cultures régionales, pratiques techniques, sociales, artistiques, rituelles, symboliques, etc. ont connu des sorts variables.
La situation linguistique varie d’une région à l’autre, en fonction en France des déplacements de population, des aménagements des territoires, des rapports de domination, des conditions sociales économiques et politiques, etc. Plusieurs langues sont mortes et/ou artificiellement pratiquées et/ou en survivance, grâce à des petits groupes intellectuels aux actions positives, mais aussi le fait de communautaristes ayant des projets politiques, voir racistes, glorifiant leur langue, leur dialecte, etc. Apprendre une langue enfant, ce n’est pas devenir un futur locuteur, c’est un acte individuel, familial, qui n’engage que soi en vérité. Une langue a des fonctions et ne peut se développer quand certaines conditions sociales n’existent plus.
De quelle culture parle-t-on et de quelles langues ?
Ceux qui valorisent leurs langues, souhaitent un bilinguisme régional et donc une autonomie des régions qui en garantirait son application, ce sont eux aussi qui défendent conjointement cette “nouvelle” culture régionale, artificiellement reconstruite, (comme celle trop souvent présentée dans des musées des patrimonieux) privilégiant certains éléments, comme la musique, l’art décoratif, les fêtes, les chansons, ceux qui font partie du domaine festif (voir commercialisables), valorisant certaines normes, codes, croyances, pratiques sociales, au nom d’une tradition (la leur), expressions racistes trop souvent et reflet d’un goût pour « les chefs », les « héros », etc. refusant tout changement, toute évolution. Ils simplifient à l’extrême ce qui était, ce que sont devenues ces cultures locales, encore vivantes grâce à ceux qui savent construire de nouvelles pratiques françaises régionales.
Ne voulant pas prendre en compte cette culture régionale vivante qui sait aussi profiter de tous les apports extérieurs, sans tenir compte de frontières « ethniques » [3]3], qui fait sienne les problèmes nationaux à l’échelle locale et régionale, les auteurs de la Charte, en vérité, traitent peu des cultures régionales et de fait ne peuvent plus appuyer leur projet politique sur la défense des langues identifiées à tort, une contre-vérité, comme le principal marqueur identitaire. Sinon pourquoi pas défendre l’abattage des moutons, la tuerie du cochon comme jadis cela était effectué ; mais aussi l’élimination des gens indésirables, malades, estropiés ? Contre vérité d’autant plus flagrante qu’aujourd’hui, d’une part les langues ou dialectes, dans plusieurs des régions, ne sont plus parlés, perdent des locuteurs, et d’autre part les régions, pensons aux littoraux, sont occupées par des gens extérieurs. Un exemple : les îles bretonnes, dernière – soit disant – réserve de traditions, sont habitées, à plus de 60 %, par des « étrangers », d’autant plus facilement que les îliens ne peuvent plus racheter leurs biens familiaux du fait de spéculations foncières ! Au Mont Saint-Michel, le parler gallo n’intéressera que les habitants de la partie bretonne, au nord du Couesnon on parlera manchot !
Imposture flagrante, car les auteurs de la charte ne peuvent que de manière générale et symbolique défendre ce qu’ils appellent les cultures régionales car celles-ci ne peuvent être consolidées ni reconstruites, ils s’appuient sur ce qui est démagogiquement solide et politiquement utile : des régions linguistiques !
En outre, dans les cultures régionales passées, ce sont bien celles-là que ces acteurs politiques et les groupuscules communautaristes visent, une grand partie des traditions, des pratiques sociales, des modes de penser, etc. ont été heureusement éliminée, de hautes luttes parfois, pour faire place au progrès social, grâce à l’installation d’un pouvoir républicain laïque, seul garant de l’égalité entre tous les membres de la société.
Signer la charte, ce serait cautionner une imposture sociale soutenue par une imposture intellectuelle, et la dislocation de la République.
Cette charte n’est pas là pour répondre aux demandes populaires, (revendications culturelles, défense du « vivre au pays », etc.), qui ont lieu dans « nos belles provinces ».
L’enjeu ? Ce n’est pas de défendre langues, cultures, identités puisque ce sont ceux qui veulent faire ratifier la charte qui tous les jours ferment une entreprise, qui n’ont pas ouvert d’école publique, et qui favorisent la destruction des littoraux.
Pourquoi défendre et appliquer en France une telle charte, puisque les conditions de pratiques, donc de vie des langues et dialectes sont assurées, éléments nécessaires au développement de cultures locales et régionales, redisons-le et que le Français national n’est remis en question par personne ? L’arbre cache bien une forêt !
Nous ne voulons pas que soit imposée une culture franco française, que soient survalorisés des particularismes régionaux sélectionnés arbitrairement, que soient renforcées les inégalités sociales.
Nous ne voulons pas que soient cassées les institutions républicaines nationales, ni qu’explose l’ensemble des structures éducatives, administratives, économiques et territoriales. Nous ne voulons pas reculer dans le temps, revenir aux fiefs seigneuriaux, aux privilèges religieux ou politiques.
Nous ne voulons pas que les régions soient transformées en réserves, en conservatoires d’un passé, d’une société faussement idéalisés.
Message de Gilbert Abergel, 1er vice-Président du Comité-Laïcité-République
[1] Retranscrit à la suite, en ligne à l’adresse http://old.fnlp.fr/spip.php?article1040 (consulté le 25-12-20)
[2] http://francoisemorvan.com/le-monde-comme-si-nouvelle-edition/ (consulté le 25-12-20)
[3] http://www.laicite-liberte.org/.
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Tour_de_la_France_par_deux_enfants
[5] Bibliographie sur ce site : http://www.franceinter.fr/emission-la-marche-de-l-histoire-douarnenez-la-republique-des-pecheurs : J’ai Gardé le Cap – le premier prêtre Marin pêcheur écrit par Cerisier(Isoète), L’Internationale en breton par Marthe Vassallo, Douarnenez de 1800 à nos jours – Essai de géographie historique sur l’identité d’une ville écrit par Jean-Michel Le Boulanger(PU Rennes), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne : Histoire, culture, patrimoine écrit par Jean-Pierre Branchereau, Alain Croix, Didier Guyvarc’h et Di(Presses Universitaires de Rennes
[7][7] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241104/
[8] http://ripostelaique.com/
[9] http://www.courriel-languefrancaise.org/
[10] http://www.francophonie-avenir.com/
[11] https://www.francophonie-avenir.com/fr/accueil/bienvenue
[12] http://www.langue-francaise.org/