18-12-23 – Au-delà des belles paroles ordinaires, la réalité de la politique du Ministère de l’Éducation nationale concernant les langues régionales.

Communiqué FELCO 18 décembre 2023

La presse a relayé comme il convenait les annonces de M. Attal, ministre, sur sa vision de ce que devrait être l’Education nationale. Une fois passé le moment des débats récurrents sur l’uniforme, il sera temps de constater qu’il s’agit d’annonces, précisément, les services de Bercy veillant, comme à l’accoutumée, à faire renoncer à toute mesure coûtant quelque chose (la mise en place de groupes de niveaux nécessitant des effectifs réduits par exemple). Et, comme à l’accoutumée, le carrosse transportant virtuellement une vraie politique de recrutement de personnels correctement payés se transformera donc en citrouille.

Au-delà de ces considérations générales, et des commentaires peu amènes que les annonces ministérielles suscitent d’ores et déjà dans les milieux professionnels compétents, on nous permettra d’attirer plus particulièrement l’attention sur la façon dont le ministère traite la question des langues régionales à l’école, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’enseignement public, privé confessionnel ou associatif. Dans ce domaine, la tradition veut que le ministère multiplie les déclarations d’amour pour ce patrimoine national tout en menant une politique parfaitement contraire sur le terrain.

Le moins qu’on puisse dire est qu’au cours des dernières années le fossé entre les déclarations et la réalité n’a cessé de se creuser : entre 2017 et 2022, le titulaire du poste était ouvertement hostile, son éphémère successeur n’avait rien à dire sur le sujet, et voici donc qu’arrive Monsieur Gabriel Attal.

Il n’a pas manqué de sacrifier au rite des protestations de pure tendresse, bien entendu. Et, bien entendu, ses premières mesures sacrifient, elles, toute possibilité d’une véritable politique dynamique en faveur du développement de l’enseignement des langues régionales.

Trois exemples, de gravité diverse, entre autres : le diplôme national du brevet, la situation du CAP’ÒC – CANOPE Aquitaine, une réponse à une question écrite du député Boris Vallaud.

Le Diplôme national du brevet

Il était possible depuis plusieurs années pour les candidats au Diplôme National du Brevet suivant un cursus bilingue de passer en langue régionale une épreuve d’une des disciplines non linguistiques prévues dans le cadre de ce cursus, l’histoire géographie par exemple. Et depuis une circulaire de 2017, il était d’usage que les énoncés des sujets de cette épreuve soient rédigés en langue régionale. Or, voici qu’une circulaire du 20 novembre 2023 prétend imposer une rédaction uniforme en français pour tous les sujets, y compris donc ceux devant être traités en langue régionale. On peine à saisir la logique de cette décision. La circulaire parle d’ « équité » : pour le ministère, l’équité consiste donc à pénaliser les élèves ayant suivi un cursus bilingue en revenant sur un acquis. Il parle aussi de « sécuriser la passation ». La passation de quoi ? On renonce à comprendre cette prose administrative, et on n’ose imaginer qu’il ne soit question, comme trop souvent, que de faire de menues économies, ou d’épargner aux services concernés une tâche supplémentaire. Il paraît en tout état de cause urgent à tous les enseignants impliqués dans ces cursus de revenir sans tarder aux procédures antérieurement en vigueur.

La situation du CAP’ÒC – CANOPE Aquitaine

Pour ce qui concerne plus particulièrement l’enseignement de l’occitan-langue d’oc, il existait depuis des années un organisme, le CAP’ÒC (https://www.capoc.fr/), lié à CANOPE Aquitaine, établi sur le site de Pau, chargé de fournir aux enseignants d’occitan – de l’académie concernée et bien au-delà, notamment depuis la suppression de services correspondant dans les académies de Toulouse ou Montpellier, un matériel pédagogique adapté à leurs besoins. Cet organisme, disposait de quelques personnels administratifs et d’enseignants détachés aptes à répondre aux demandes venues du terrain, demandes d’autant plus pressantes que la précarité de l’enseignement de l’occitan comme des autres langues régionales exige de la part des enseignants le recours à des outils attractifs. Or, tout récemment, ces personnels viennent d’apprendre une réduction drastique de leur effectif, déjà squelettique, ce qui ne peut qu’aboutir à un appauvrissement massif de la production pédagogique. d’Aquitaine[1]. Là encore, on peine à saisir la logique à l’œuvre, aucune justification n’ayant été fournie par les autorités compétentes. Et on n’ose craindre que des mesures identiques puissent affecter, ailleurs, les organismes correspondants qui existent pour les autres langues de France.

Une réponse à une question écrite du député Boris Vallaud

Le ministère est régulièrement interpellé par des parlementaires à travers des questions écrites auxquelles il répond parfois, le plus souvent assez tard, et en général de façon stéréotypée reprenant des formules traînant dans ses dossiers depuis des décennies. Tout récemment une question écrite déposée le 8 mars 2023 par M. le Député Boris Vallaud (https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-6481QE.htm) a reçu un accueil qui ne déroge pas à la règle énoncée ci-dessus.

  1. Vallaud attirait l’attention du ministre alors en poste – qui a laissé à M. Attal le soin de signer la réponse – sur les besoins de l’enseignement des langues régionales, en matière de postes, de recrutement, de réduction des inégalités entre académies, etc.

Il ajoutait des demandes précises concernant les programmes, notamment l’insertion dans les programmes et les manuels de français de textes produits dans les diverses langues de France, textes à l’heure actuelle massivement ignorés.

Dans sa réponse, le ministère s’abstient d’évoquer la situation générale, probablement parce qu’il n’a rien de nouveau à en dire, mais condescend néanmoins à se pencher sur les autres points.

Sur les programmes, il se borne à botter en touche, en renvoyant au Conseil Supérieur des programmes, et invite donc ceux que les langues régionales intéressent à s’engager dans un long tunnel de consultations de diverses instances débouchant peut-être un jour sur quelques vœux pieux, dans le meilleur des cas. L’idée que le ministère puisse lui-même faire des suggestions à un organisme placé sous sa direction semble étrangère au rédacteur de la réponse.

Il rappelle par ailleurs la liberté des auteurs et éditeurs scolaires quant au choix des auteurs qu’ils peuvent inclure dans les manuels qu’ils publient. Comme il semble bien que le projet du ministère soit d’exercer un contrôle sur ces manuels, en fonction de ce qu’il compte voir valorisé selon ses propres conceptions de ce qu’ils doivent contenir, on conviendra que cet éloge de leur « liberté » sonne curieusement. Il y a pourtant dans cette réponse ce que son rédacteur doit considérer comme une concession de taille : les enseignants spécialisés dans les diverses langues de France peuvent, eux, bel et bien faire appel à des auteurs ayant illustré leur langue, car on veut bien croire apparemment rue de Grenelle que de tels auteurs peuvent éventuellement avoir existé voire constituer une vraie « richesse ».

Fort bien. Sauf que ce n’est pas de cela, mais des programmes et des manuels de français que parlait M. Vallaud. Le rédacteur n’a-t-il pas compris la question, ou bien considère-t-il que les langues régionales n’ont pas à souiller la blanche hermine des programmes et des manuels de français ?

Enfin, si on rapporte cette réponse à la réalité du traitement réservé au CAP’ÒC – CANOPE, on aura du mal à trouver comment qualifier sans discourtoisie l’attitude que M. Attal semble avoir décidé d’adopter face aux revendications des acteurs de l’enseignement des langues régionales.

Mais peut-être aura-t-il à cœur de nous détromper. Peut-être. Ou pas.

[1] Voir la pétition en ligne sur ce lien

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