Le dit André Joly est membre de l’Institut Béarnais et Gascon de Biarn Toustém, Secrétaire du conseil scientifique Béarn-Gascogne Institut. Il est aussi « professeur émérite de linguistique à l‘université de Paris-Sorbonne (Paris IV), auteur d’un dictionnaire de linguistique, de nombreux articles et ouvrages en linguistique générale, française et anglaise, sur l’histoire de la linguistique, ainsi que de plusieurs études sur le béarnais et le gascon ».
Il attaque Jean Pierre Belmon, écrivain occitan de Provence, journaliste, décédé en 2017 qui s’insurgeait contre les menées du Couleitieu Prouvènço. 2013_-_Andre_Joly_repond_a_Belmond_
Philippe MARTEL lui répond avec la science et l’humour qui le caractérisent
Deux ou trois choses sur la langue d’oc…
Réponse à http://www.collectifprovence.com/IMG/pdf/2013_-_Andre_Joly_repond_a_Belmond_.pdf
Je viens de découvrir la lettre ouverte à Jean-Pierre Belmon publiée par le Professeur Joly sur le site du Collectif Provence. Le Professeur Joly entend donner à l’ignorant (puisqu’occitaniste) Belmon une leçon de linguistique en bonne et due forme. Juste quelques remarques sur cette leçon.
- Pas question bien sûr de contester le fait que M. Joly est linguiste, spécialiste, si on comprend bien, de linguistique générale et d’anglais. Les usages universitaires étant ce qu’ils sont, cela veut sans doute dire que durant sa carrière, M. Joly a assuré des enseignements de linguistique générale, expliquant aux étudiants de science du langage la différence entre les théories de Martinet, Saussure, Chomsky et quelques autres, tout en consacrant l’essentiel de son travail personnel de recherche a la linguistique de l’anglais, quitte à produire de ci de là, la retraite une fois arrivée, quelques articles sur le « béarnais » que nous n’avons d’ailleurs pas lus, mais qui sont sans nulle doute très intéressants.. On est quand même assez loin de la romanistique et des études sur la/les langues d’oc (rayez la mention inutile). Mais après tout, pourquoi pas ? Il convient donc de regarder de près ce que M. Joly dit de la langue/les langues (rayez etc.) d’oc.
- M. Joly croit à l’existence du « provençal ». Soit. Moi aussi, Belmon aussi, et plein de gens avec nous. Mais là où la plupart des spécialistes, de longue date, voient une déclinaison locale de la langue d’oc, il veut voir, lui, une langue à part, n’entretenant que des rapports de parenté lointains avec les variétés voisines, auxquelles il attribue le statut de langues distinctes. Il ne veut parler que de langues romanes différentes partageant tout au plus un « adstrat » latin commun greffé sur des « superstrats » locaux conditionnés par des « contextes ethno-socio-culturels » différents. En d’autres termes, peut-être plus accessibles au commun des mortels non linguistes, M. Joly nous suggère qu’il y a eu une influence du latin des conquérants sur des langues pré-existantes, que cet apport a coloré sans les faire disparaître (car c’est ce que l’on entend ordinairement par « adstrat »). Nous devons donc en conclure que pour M. Joly, le latin a rencontré sur le sol des Gaules des langues préexistantes différentes, qu’il a influencées sans leur enlever leur identité native. D’où des langues « romanes » différentes à leur tour, le gascon, le béarnais, le languedocien, le provençal, d’autres encore (tant qu’à faire je suggère d’ajouter le barcelonais, le lauzetan, le fournier, le jausierenc, le maurinenc haut (Combremont) et bas (La Barge)). Il s’agit là d’une idée intéressante, que l’on peut appliquer à d’autres contextes linguistiques. Puisque M. Joly est angliciste, ne doutons pas qu’il admettra sans problème l’existence non point d’un « anglais » niveleur, mais de diverses langues anglaises, des langues de yes, de yep ou de yeah, résultant selon les régions du contact entre un adstrat anglo-saxon-scandinavo-normand, et des substrats variés. Il y aura donc une langue de yes correspondant au substrat brittonique du pays de Galles ou du Cumberland, une langue de yes correspondant au substrat picto-gaelique de l’Ecosse (mais distincte du scots, dont le substrat est différent), une autre langue de yes encore différente correspondant au substrat gaélique (sans influence picte !) en Irlande, et ainsi de suite outre Atlantique quand l’adstrat anglo-saxo-scandinavo etc. rencontre les substrats des composantes ethno-socio-culturelles apportées par les immigrants allemands, irlandais, écossais, italiens, voire même français de Louisiane ou scandinaves du Wisconsin (on évitera charitablement de parler des substrats amérindiens, ou africains, ou hispaniques, les locuteurs des langues de yes des Amériques ayant veillé à traiter ces substrats comme il convenait…
Soyons sérieux : il n’y a pas d’adstrat du latin, il y a l’adoption du latin par des populations qui, selon les substrats des régions concernées, a certes pu être modifié, sans que cela implique une dispersion maximale. Les différences entre les diverses variantes romanes du sud de la Gaule existent, certes, comme il en existe dans toutes les langues avant l’imposition d’une norme commune, mais s’inscrivent dans un cadre phonologique et morphologique cohérent qui les englobe toutes. C’est ce que l’on nomme ordinairement la langue d’oc, ou occitan dont les limites peuvent se tracer sur la carte, nonobstant quelques zones de transition (le Croissant au nord du Massif Central, une zone interférentielle en Isère avec le francoprovençal, une autre bande interférentielle avec le piémontais à la limite entre Alpes et plaine du Pô). L’existence de cet ensemble occitan est reconnue depuis des siècles, come en témoignent aussi bine les notations des historiens provinciaux dès le XVIIe siècle, ou les réponses aux enquêtes Grégoire (1790) ou Coquebert de Montbret (1807-1812). Le fait que cette conscience d’unité cohabite avec la conscience non moins aigüe de la particularité de chaque parler par ceux qui le pratiquent est normal, et bien connu de tous ceux qui ont travaillé sur la question.
- C’est là qu’intervient, dans la prose de M. Joly, l’indispensable argument d’autorité. Il est linguiste, lui, et les linguistes sont d’accord avec lui. Il cite alors les signataires d’un manifeste de soutien à l’indépendance linguistique du « béarnais ». Ces signataires existent, certes. Leur problème est que quelles que soient leurs indiscutables compétence, ces compétences , comme celles de M. Joly d’ailleurs, se rattachent dans la plupart des cas à l’étude d’autres langues que celles du sud des Gaules. On est donc en droit de se demander, et de leur demander, sur quelles bases ils peuvent prendre des positions raisonnées sur un domaine qui n’est pas le leur.
- M. Joly néglige ce fait, et préfère en conclure que « les linguistes » refusent l’existence de la langue d’oc et privilégient l’hypothèse d’une multiplicité des « langues d’oc » comme autant de langues romanes ou néolatines, qu’il convient de placer sur le même rang que les langues romanes ordinairement reconnues (espagnol, portugais, italien etc.). M. Joly affirme dans le même mouvement qu’aucun linguiste sérieux ne saurait défendre l’idée absurde d’une langue « occitane ». M. Joly oublie à ce point de citer des noms, dans un camp comme dans l’autre. Nous lui suggérons de méditer sur le fait que la plupart des linguistes travaillant sur ce qui se parle dans le sud de la France se retrouvent dans le cadre d’une association Internationale d’Etudes Occitanes. Et les grands manuels actuels de romanistique (les plus importants sont en allemand) ne parlent pour leur part que d’occitan, au singulier, sans négliger pour autant d’exposer ce que sont les variations internes de l’espace de la langue. Seul, ou à peu près, parmi les linguistes professionnels travaillant sur l’occitan, M. Philippe Blanchet défend une position contraire.
- M. Joly, peut-être vaguement conscient que le témoignage des linguistes vivants infirmerait ses positions, se replie sur le recours à des linguistes morts. Il croit savoir que les grands romanistes allemands du XIXe siècle, les fondateurs de la romanistique, ne croyaient pas à l‘existence de la langue d’oc, une dans la diversité de ses variantes locales. Il me semble qu’il confond là avec les positions des linguistes nationalistes français du XIXe siècle, Paul Meyer ou Gaston Paris. Nous ne saurions trop lui conseiller de se renseigner sur les positions de Diez, le père de la romanistique allemande, ou de Meyer-Lübke, ou de Gröber, ou de Schuchard. Le seul débat que ces éminences pouvaient mener entre elles concernait la question de savoir si le catalan faisait ou non partie de l’ensemble d’oc. Mais tous accordaient suffisamment de poids aux idées d’un Mistral dont M. Joly pense visiblement peu de bien pour lui accorder leur patronage quand il s’est agi de lui faire obtenir le prix Nobel. Tous les adeptes de magie noire savent à quel point il est dangereux de convoquer des fantômes que l’on ne peut pas contrôler. M. Joly devrait méditer la leçon.
- Délaissant le terrain mouvant de la romanistique, M. Joly préfère célébrer les vertus des militants du particularisme exclusif provençal réunis dans le fameux Collectif qui héberge sa prose. Il tient à témoigner personnellement » de leur volonté d’ouverture et d’échange ». Je suis pour ma part plutôt bien placé pour témoigner du contraire. Et, en tant qu’enseignant à l’université de Montpellier, je n’oublie pas que ces gens ont jugé bon de dénoncer des sujets d’occitan uniformes pour le bac sur tout l’espace d’oc dont ils attribuaient l’inspiration aux enseignants de Montpellier, ce qui témoigne, au mieux, d’une parfait ignorance des modalités de confection des sujets du bac, mais n’en constitue pas moins, de fait, ce qui ressemble fort à une dénonciation calomnieuse.
- Ceci étant, je me garderai bien d’en conclure que l’on a affaire là à d’authentiques fascistes. J.P Belmon se bornait à souligner, lui aussi, leur tendance à dénoncer face aux autorités régionales et aux élus le danger occitaniste qu’ils croyaient pouvoir identifier. La simple lecture de leur site, dont l’essentiel est consacré à de telles dénonciations suffit à édifier quiconque voudra bien aller voir de quoi il s’agit. Cela n’a rien à voir avec les opinions politiques qu’ils peuvent avoir par ailleurs, sans doute aussi diverses que celles des occitanistes. À ce propos, M. Joly pourrait éviter, soit dit en passant, de ressortir du placard le souvenir de feu Alibert, collabo en son temps sans doute, mais qui n’a plus depuis longtemps la moindre influence sur l’occitanisme contemporain.
- M. Joly et ses amis provençaux croient pouvoir s’appuyer sur le soutien de l’opinion provençale, en tout cas de ceux qui acceptent de signer les pétitions qu’ils lancent régulièrement. La lecture des commentaires déposés par les signataires de la dernière montrent pourtant que ce qui les motive, ce n’est pas l’hostilité paranoïaque à on ne sait quelle invasion occitane, mais l’amour d’une langue qu’ils ne parlent pas forcément, mais dont ils souhaitent la survie et le développement. Sur ce point, ils ne se distinguent pas fondamentalement des dizaines de milliers d’habitants des diverses régions du Midi, des Alpes à l’Atlantique et Provence comprise, qui ont défilé à quatre reprises depuis 2005 pour la langue d’oc, dans toutes ses composantes.
- Ce que ne comprennent pas M. Joly et ses amis, c’est que leur agressivité ne peut que dérouter, et décourager, tous ceux qui partagent, en Provence, cette volonté de défendre la langue du lieu. De ce point de vue, je suis au regret de dire qu’ils nuisent, objectivement, à la cause même qu’ils prétendent si bruyamment défendre.
Philippe Martel