La FSU remercie la FLAREP et la FELCO pour cette invitation
La question qui est posée pour entrer dans ce débat est celle de la nouveauté introduite par la loi Molac. Pour la FSU, elle marque incontestablement un pas en avant dans la politique de développement des langues régionales, ne serait ce qu’en terme d’affichage et l’affichage compte car il donne un horizon et cela crée des dynamiques positives, donc on peut s’en féliciter, mais la loi ne dit rien des moyens de sa mise en œuvre. Or, sans moyens dédiés, la politique volontariste affichée peut n’avoir aucune traduction concrète et peut même avoir des effets contre productifs. Ainsi, quand on établit le principe de proposer l’enseignement en langues régionales partout mais sans moyens cela peut mettre l’ensemble du système sous tension: par exemple, ce principe conduit à ouvrir une classe avec à peine une dizaine d’élèves alors que dans la commune voisine, un collègue est seul avec 25 élèves en multiniveaux du CP au CM2 dans sa classe bilingue… C’est bien là un effet pervers du manque de moyens.
Et surtout, la loi Molac renforce la concurrence public / privé, or pour nous cette concurrence n’est pas la solution, elle est le problème.
En tous cas, la loi Molac est aussi le résultat d’un état de fait, d’un constat, elle constate et consacre le rôle central de l’école dans la transmission et le développement des langues régionales, parfois leur transmission ne tient plus que par leur existence à l’école, et à l’inverse leur fragilisation dans le système scolaire peut les menacer de disparition définitive . Mais une des grandes faiblesses de cette loi selon nous, c’est de ne pas préciser l’école « publique »: elle introduit même des mécanismes de financements supplémentaires du privé en obligeant les communes qui ne proposent pas d’enseignement en langues régionales à financer les écoles privées voisines.
Le bilan de cette rentrée 2023 est contrasté, des dynamiques positives existent (pays basque, Bretagne, Catalogne) et sans doute la loi Molac n’y est pas pour rien, mais globalement le manque de moyens fragilise en particulier les langues régionales. Par exemple, on n’avait rarement vu rentrée si difficile en Bretagne du point de vue des langues régionales dans le secteur public, du fait de la difficulté de recrutement aux concours et du manque de moyens.
La considération pour les remontées de terrain via les organisations syndicales est variable. On peut se féliciter que de nombreux CALR (conseils académiques des langues régionales) se réunissent et font un travail efficace, mais globalement, la prise en compte des remontées de terrain est en recul. Les offices des langues introduits par la loi sont une bonne chose en terme de mise en cohérence des politiques publiques, mais ils ont servi de prétexte à contourner les CALR, or il n’y a que dans les CALR que les représentants syndicaux peuvent intervenir. Simple illustration sur les protocoles d’ouverture de classes bilangues: les équipes enseignantes sont désormais les dernières informées, après les mairies et même après les parents. D’où, quand une filière se crée dans une école, des collègues bilingues rarement bien accueillis car une classe bilingue n’amenant en réalité que très peu de nouveaux élèves, c’est la possibilité qu’au bout de quelques années, les collègues monolingues voient leur classe fermée et qu’ils doivent donc être affectés dans une autre école. Le travail fin avec les représentants du personnel pourrait éviter ce type de situations.
Ce colloque est l’occasion pour nous de dire notre attachement à poursuivre nos actions communes en faveur des langues régionales. Pour la FSU, il s’agit d’une question pleinement syndicale.
- d’abord parce que les collègues qui enseignent les ou en langue régionale doivent pouvoir compter sur leurs syndicats pour les défendre. Or, on sait que ce sont des collègues souvent particulièrement mis en difficulté, on note leur solitude, leur manque de matériel pédagogique, le fait d’être sur des classes multi niveaux au primaire et sur de nombreux établissements dans le secondaire, sur des postes sans cesse menacés. Les collègues de langues régionales condensent et cumulent bien souvent les difficultés de l’ensemble de l’Éducation Nationale. Dans le second degré, l’absence de moyens dédiés et l’obligation de financer les options en langue régionale sur la marge d’autonomie des établissements crée des tensions car les enseignements sont mis en concurrence les uns avec les autres. Au lycée, ce problème est aggravé par la catastrophe qu’a été le lycée Blanquer, la spécialité langue régionale a été laminée, les emplois du temps délirants et l’explosion des groupes classes rendant encore plus difficile la proposition des options.
Mais les collègues de langues régionales sont aussi des collègues qui choisissent de mener la bagarre, ce colloque en est une des manifestations, on voit bien pourquoi, il faut être déjà un peu militant pour enseigner les ou en langues régionales…
- ensuite parce que dans cette période si difficile faite de replis sur soi identitaires, ce qu’apportent les langues régionales en termes d’ouverture culturelle, en terme de pluralisme, de diversité, qui n’enlève rien à la culture commune mais au contraire qui y ajoute quelque chose, est une richesse immense et doit être développé. Quand on est un syndicat de transformation sociale comme le nôtre, cela compte. Faire vivre une identité ouverte, riche, augmenter le nombre de locuteurs des langues régionales pour qu’elles ne deviennent pas un simple élément « patrimonial » mais bien un élément vivant de la culture commune ET une entrée dans la compréhension du langage, avec des objectifs pédagogiques, ce sont bien des questions d’intérêt général, c’est pour cela que cela doit être le rôle de l’école publique.
Benoît Teste