Voir la lettre au format PDF : ‘oc-provençal-
à Madame et Messieurs les députés Valérie Boyer, Jean-Claude Bouchet, Eric Diard, Yvan Lachaud, Thierry Mariani, Jacques Remiller, Jean-Marc Roubaud, Pascal Terrasse, Guy Teissier, Michel Vauzelle
Madame, Monsieur le Député
J’ai découvert sur le site de l’Assemblée Nationale votre question écrite au gouvernement concernant les langues régionales. Vous y plaidez pour la reconnaissance du provençal.
Je me permets de vous faire ces quelques remarques en tant qu’universitaire, chercheur et enseignant, spécialiste de la langue d’oc, ou occitan, président de la FELCO (Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’Oc[1]).
À plusieurs de vos collègues députés qui posaient une question allant dans le même sens, le Ministère a répondu d’une manière informée et parfaitement respectueuse des diversités internes de la langue d’oc.
« La ministre de la culture et de la communication rappelle que les langues régionales sont désormais inscrites dans la Constitution, à l’article 75, dans le titre XII, comme patrimoine de notre pays et confirme que le Gouvernement souhaite maintenir la dénomination d’occitan ou langue d’Oc dans les textes nationaux, tout en affirmant et protégeant l’unité de cette langue, riche de sa grande diversité dialectale. Considérant que chaque variété est l’expression pleine et entière de la langue qui n’existe de façon unitaire que par ses composantes, le Gouvernement, dans le domaine linguistique gallo-roman n’entend aucunement remettre en cause la nomenclature traditionnelle en usage dans l’administration depuis la loi Deixonne de 1951 qui reconnaît l’occitan comme une langue aux différentes variétés dialectales dont le provençal. Aussi, afin de concrétiser la reconnaissance des langues régionales, le Gouvernement envisage-t-il un cadre de référence donnant une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation et n’impliquant aucune modification de la Constitution concernant la ratification de la charte européenne des langues régionales… »
Cette réponse, parce qu’elle constate que le provençal est déjà reconnu, « ni court ni coustié », en tant que forme de l’occitan ou langue d’oc, ne peut que satisfaire la FELCO, association d’enseignants qui s’attache à fédérer les collègues enseignant la langue d’oc dans sa diversité sur l’ensemble des Académies concernées. Une petite visite de notre site http://www.felco-creo.org/ vous permettra de juger de la diversité des documents pédagogiques produits dans cette perspective d’enseignement ouvert. Quels effets aurait un repli localiste de chaque forme dialectale sur son terrain étroit ?
Votre passion pour le provençal devrait cependant être satisfaite par l’état actuel des textes qui reconnaissent provençal comme forme de la langue d’oc, de l’occitan (ou comme un autre nom de la langue d’oc ou occitan). Procéder ainsi, ce n’est pas moins le reconnaître que d’en faire une langue à part. Depuis le moyen âge, au-delà des formes locales plus ou moins marquées, il existe le sentiment d’une communauté de la langue d’oc. Et ce sentiment de communauté a porté une des premières littératures d’Europe, la floraison des Troubadours et du « trobar ». En sautant les siècles, c’est la même unité ressentie à travers les variétés qui fera que l’exemple de Jasmin d’Agen aura pu contribuer à inspirer Mistral, de Maillane, Bouches-du-Rhône, qui a son tour suscitera un réveil de conscience linguistique et culturelle à travers tout le pays d’oc, « dis Aups i Pirenèu » selon la formule consacrée par lui…
C’est parce que le provençal fait partie de la langue d’oc que les étudiants de Montpellier, comme ceux de Toulouse, de Pau, de Bordeaux, de Limoges, de Clermont-Ferrand et bien sûr d’Aix et de Nice, lisent et étudient Mistral, le cévenol Fabre d’Olivet, comme le Marseillais Victor Gelu, ou Delavouet, le poète de Grans, le niçois Francis Gag ou Robert Lafont qui vient de nous quitter, grand occitaniste s’il en fut et dont toute l’œuvre littéraire est écrite en provençal. C’est dans l’unité de la langue d’oc que le provençal prend toute sa place.
Permettez-moi également de vous faire remarquer que l’Académie de Montpellier, dans le territoire de laquelle vous êtes député, la langue d’oc est enseignée sous ses deux formes dialectales : le provençal et le languedocien, celui-ci étant géographiquement majoritaire dans le territoire
Ce qui manque à la langue d’oc de Provence, au provençal… c’est que sa reconnaissance se double de mesures effectives de soutien. Ce sont en particulier des postes d’enseignants pour transmettre la langue et la faire connaître. Je suis membre du jury de CAPES « d’occitan – langue d’oc » (au programme duquel figurent en bonne place des œuvres provençales (dont, depuis deux ans Mirèio de Mistral auquel votre Q.E. fait allusion) et dans le jury duquel siègent des enseignants provençaux). Depuis plusieurs années nous devons partager quatre postes (quatre : 2 +2) pour l’ensemble des pays d’oc, soit sept Académies. Merci d’intervenir pour que le nombre des postes à ce concours soit augmenté, de manière à ce que la Provence (comme le Languedoc, votre région, Monsieur le Député) puisse recevoir de nouveaux enseignants de provençal (l’incidence est dérisoire sur la masse des recrutements et nos certifiés sont tous bivalents occitan + autre discipline). Si vous y parveniez vous rendriez au provençal et à toute la langue d’oc un signalé service !
Sur ce sujet du CAPES, je voudrais attirer particulièrement votre attention sur un point précis concernant la Provence : c’est la création, en 1992, de ce CAPES d’occitan-langue d’oc (appellation voulue par esprit de consensus) et son obtention qui permet aujourd’hui à plusieurs jeunes enseignants des académies provençales d’occuper des emplois de professeurs de « provençal ». Personne jusqu’à présent ne leur a contesté le choix de cette appellation, puisqu’ils l’avaient choisie pour son adaptation à leur lieu d’enseignement. Personne ne les a empêchés d’utiliser la graphie qui leur paraissait la mieux adaptée.
Plus globalement, permettez-moi de vous faire remarquer que les petites querelles sur le nom de la langue, entretenues par une minorité aussi activiste que… minoritaire, risquent d’être contre productives au moment où le gouvernement s’apprête à travailler sur une loi promise en 2008. Les adversaires des langues régionales risquent fort d’en tirer prétexte pour s’opposer, une fois de plus, à toute avancée dans ce domaine.
La FELCO a toujours le souci d’avancer dans un sens constructif et le plus consensuel possible.
C’est la raison pour laquelle nous travaillons, dans le cadre de la fédération « Anem, òc ! » avec l’Institut d’Etudes Occitanes ou le Félibrige.
C’est aussi la raison pour laquelle nous avons voulu enrichir le débat sur l’adoption d’une loi en faveur des langues régionales par l’élaboration d’un texte intitulé « Quelques mesurés-clé pour une loi – L’avis de la Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’oc » que vous trouverez en annexe et sur le quel nous souhaiterions avoir votre avis d’expert.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’assurance de toute ma considération.
P / O Philippe Martel, président de la FELCO, Marie Jeanne-Verny, co-secrétaire