Le 5 Juillet 2023, se déroulait à l’Hôtel de Région de Toulouse une journée de réflexion et d’échange autour de la loi de mai 2021 relative à la protection et la promotion des langues régionales (dite loi Molac du nom de son auteur et rapporteur). Cette journée de travail, mais aussi de bilan à l’occasion des deux ans de la loi, était coorganisée par la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, Òc-Bi, Lo Congrès permanent de la lenga occitana, l’IEO-OPM, la coordination occitane de la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée, le CREO de Tolosa, le CREO Lengadòc, le CREO d’Aquitània, la FELCO, les fédérations Calandreta Miègjorn-Pirenèus e Lengadòc, l’APLEC, Arrels, La Bressola, l’OPLC, l’OPLO, le CIRDOC.
Plusieurs acteurs et spécialistes des langues et cultures régionales sont intervenus afin de faire un point sur l’application de la loi, évoquer les perspectives qu’elle offre et présenter la situation des langues régionales, notamment de leur enseignement dans d’autres espaces linguistiques (Alsace, Bretagne, Corse).
Cette journée a été une réussite puisqu’environ 200 personnes étaient réunies autour des enjeux de la loi et notamment de la perspective de la généralisation de l’offre d’enseignement des langues régionales.
La mobilisation citoyenne, dont il a été plusieurs fois question lors de cette journée, est donc bel et bien réelle. Il est important de continuer à développer ce genre d’initiative afin de maintenir la pression, d’autant plus que nous sommes dans une période de concertation avec l’État quant à l’écriture des nouvelles conventions Rectorats / Région que la Région Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, comme nous, militants de l’enseignement public de l’occitan ambitieuse.
Ce compte rendu n’est pas exhaustif : les actes devraient être publiés.
1- La loi du 21 mai 2021 : Comment mettre en œuvre cette avancée législative ?
Véronique Bertile, juriste spécialiste des droits linguistiques, a rappelé que cette loi, plus ambitieuse que la loi Deixonne, était, en premier lieu, une avancée symbolique puisqu’il s’agit de la première loi consacrée aux langues régionales sous la Ve République. C’est aussi le premier texte législatif promulgué suite à l’entrée des langues régionales dans la constitution.
L’intérêt qu’a suscité la loi, la manière dont elle a été discutée et votée et les différents rebondissements autour de sa promulgation témoignent à la fois du fait que le sujet des langues régionales est encore un sujet sensible, mais aussi que nos langues et cultures régionales ont un écho positif dans l’opinion publique. Véronique Bertile a également évoqué l’importance de la mise en place de conventions afin de faire vivre cette loi qui, en l’absence de telles conventions, n’impose ni objectifs ni résultats.
Paul Molac, rapporteur de la loi, insiste lui aussi sur la portée de celle-ci. En effet, selon lui, elle montre que le peuple, via les députés et sénateurs, est passé au-delà d’un nationalisme linguistique français qui est celui des élites, représentées alors via le conseil constitutionnel. Pour se conformer à la jurisprudence du Conseil, il rappelle que la loi ne donne pas de droits aux citoyens. Le droit français ne reconnaît aucune minorité. Selon Paul Molac ce paradoxe demanderait un changement de la constitution difficile à obtenir. En s’orientant délibérement dans la préservation du patrimoine linguistique, la loi évite ce problème et oblige l’État, gardien du patrimoine, à mettre en place des politiques publiques pour préserver ce riche élément du patrimoine national que sont langues de France. On peut donc essayer d’imposer des obligations aux services publics et aux institutions, soit directement par l’interprétation de la loi, soit via une convention comme par exemple dans le cas de la généralisation de l’offre d’enseigement. L’un des points sensibles est non seulement celui de la structuration de l’offre dans des terrrioires parfois très vastes mais aussi la formation des enseignants. Paul Molac donne l’exemple de la formation des enseignants à travers le parcours préparatoire au professorat des écoles bilingue français-breton (Université de BREST). Voir https://formations.univ-brest.fr/fr/index/sciences-humaines-et-sociales-SHS/licence-XA/licence-sciences-de-l-education-ISUK3KNP//parcours-preparatoire-au-professorat-des-ecoles-bilingue-francais-breton-L9IAP7V4.html
David Taupiac, député du Gers (LIOT), a insisté lui aussi sur l’importance des conventions, notamment en ce qui concerne l’ouverture de classes bilingues. Catherine Prunet, vice-présidente en charge de la culture, de l’éducation et de la jeunesse au Conseil départemental du Lot, partage cet avis mais rappelle que c’est l’Éducation nationale qui a les rênes sur la question et qu’il faudrait que cette dernière définisse plus de moyens pour mettre en œuvre de manière efficaces les conventions. Benjamin Assié, conseiller régional Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, délégué aux cultures occitane et catalane, va également dans ce sens, en rappelant l’importance des collectivités, il évoque la nécessité d’obtenir de réels moyens émanant de l’Éducation nationale. En ce qui concerne la future convention, actuellement en négociation avec l’État, il assure que la Région Occitanie souhaite qu’elle soit ambitieuse, à la hauteur de ce qu’ont obtenu les Bretons. Il s’agit pour lui également d’une question d’égalité républicaine. Il rappelle aussi l’importance de la mobilisation citoyenne dans ce moment de concertation et de négociation avec l’État. Globalement, il s’agit pour lui d’améliorer la situation socio-linguistique de l’occitan. Cela passe par un accès public étendu à l’occitan, c’est à dire aussi en dehors de l’école.
2- Un enseignement de la langue régionale proposé à tous les élèves : comment faire ?
Ce deuxième temps de la journée était consacré aux différentes applications possible de la loi relative aux langues régionales du 21 mai 2021.
Les arguments sur les bienfaits du bilinguisme français – langue régionale pour le territoire. Martine Ralu (Oc-Bi) et Joan Sebastià Haydn (Bressola)
À travers la présentation de leurs associations et du travail qui s’y mène, Martine Ralu et Joan Sebastià Haydn nous ont présenté les arguments qu’ils utilisent auprès des familles afin de les amener à choisir l’éducation en langue régionale. Ils démontrent, par des comparaisons avec la situation linguistique d’autres pays européens, que le plurilinguisme est plus facilement accepté chez nos voisins, mais surtout qu’il permet aux enfants de développer davantage de compétences. Ils rappellent également l’importance de l’apprentissage bilingue précoce, notamment en terme d’aquisition du langage.
Les modalités de la généralisation de l’enseignement du Corse : Angelina Antonetti, professeur certifiée de langue et culture corse, formatrice à l’INSPE
Angelina Antonetti nous a ensuite présenté les différentes modalités d’enseignement du Corse. Elle rappelle l’importance du rapport de forces et donc de la mobilisation citoyenne dans l’acquisition des différentes avancées présentées.
La généralisation du Corse à l’école publique n’a pu être mise en place progressivement que par la formation d’un nombre suffisant d’enseignants en mesure d’enseigner la langue. Un plan de développement du corse a donc été élaboré et mis en place, en lien avec la Collectivité de Corse. Ce plan de développement inclut une formation à la langue corse de tous les étudiants en licence. Il n’y a pas d’obligation de résultat, mais ils doivent se présenter à l’examen pour valider leur licence. Ainsi, même les enseignants « monolingues » ont une formation à la langue. L’objectif est de systématiser la compétence linguistique corse pour pouvoir enseigner le corse ou en Corse.
Un enseignement proposé à tous : débat sur les solutions
Cet échange avec la salle, en préambule des ateliers de l’après-midi, a permis de dégager des pistes qui seront rappelées et développées en fin de journée.
3. Les conventions, quelles clés pour un développement ambitieux?
Frédéric von Lothringen, universitaire, nous a proposé un comparatif des trois conventions corse, bretonne et alsacienne.
Il s’est attaché à dégager les différentes philosophies de ces conventions (conquérir pour la Corse / faire perdurer pour la Bretagne / survivre pour l’Alsace), ce qui permet de s’apercevoir de leurs objectifs réels, et donne des éléments stratégiques pour bien penser la future convention. Nous y voyons également le lien étroit entre ambitions et moyens alloués.
De cette riche communication, nous avons retenu 3 chiffres mettant en lumière l’inégalité de ces moyens. Il s’agit de la somme par habitant dévolue aux politiques linguistiques :
- En Corse : 7€25 / habitant. La majeure partie de ce budget est dédié à l’enseignement : Millions. Chaque ligne, chaque objectif est budgétisé
- En Bretagne : 2€ / habitant. 6 millions pour les langues (breton et gallo), somme qui vient de passer à 9 Millions
- En Alsace : 1€78 / habitant. Budget annuel 3,4 Millions.
La convention bretonne, entre ambitions et contraintes d’application a été présentée par Ronan Le Louarn, chef de service langues de Bretagne, Région Bretagne.
Nous en retenons qu’elle a été pensée à partir d’un constat : le breton est en danger car la population bretonnante veillit. Elle est très orientée vers l’éducation car la transmission chez les moins de 30 ans est assurée à 90% par l’école. Un des enjeu est de développer la transmission du breton via l’école, notamment.
Quelques échos des échanges
Lors des échanges avec la salle, la FELCO souligne l’intérêt symbolique de la loi relative à la protection et la promotion des langues régionales mais aussi ses limites : selon les termes juridiques consacrés, l’article 7 de cette loi (« la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but de proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves ») impose à l’État l’affectation de moyens, mais pas de résultats. En effet, cette offre d’enseignement est liée à l’adoption de conventions entre L’État et les collectivités territoriales. Mais aucun texte n’oblige ni l’état, ni lesdites collectivités, à adopter de telles conventions. Par ailleurs, leur contenu, comme l’ont montré les interventions de la journée est terriblement disparate. La FELCO remercie Benjamin Assié, élu d’une Région volontariste partie prenant de l’Office public pour la langue occitane, de ne pas avoir oublié les Régions occitanes dépourvues d’Office public, zones qui correspondent en grande partie aux espaces que la FELCO qualifie de sinistrés en matière d’offre d’enseignement public et qui ne bénéficient pas de conventions. Elle rappelle également que, dans le cadre des conventions, l’enveloppe ministérielle allouée aux académies qui ont une langue régionale devraient être augmentée afin de prendre en compte cette spécificité et cette charge qui s’ajoute aux charges de TOUTES les académies (zones rurales ou quartiers sensibles, prise en compte des handicaps…) C’est ici une question d’égalité républicaine : les enseignements de langues régionales ne doivent pas être mis en concurrence avec les autres charges de l’Éducation nationale.
Les futures conventions occitanes comme application de la loi : ateliers de réflexion et de proposition.
En fin de journée et avant les prises de paroles de conclusion par Eric Fraj, président de la Coordination occitane Occitanie-Pyrénées-Méditerranées et Eliane Jarycki, au nom de la Région, trois ateliers se sont formés par niveau d’enseignement. Les préoccupation exprimées ont été sensiblement les mêmes que celles dégagées le matin :
- augmenter les offres d’enseignement d’initiation généralisées
- développer des projets fédérateurs
- former suffisamment d’enseignants
- Exiger une convention ambitieuse basée sur le modèle breton
- Œuvrer à une mobilisation citoyenne pour pousser
- Bâtir une politique linguistique pour que la langue soit présente en dehors de la classe.
Compte rendu de V. Lago, relecture MJ Verny, merci à Théa pour ses photos