Intervention de Jean-Marc CLÉRY secrétaire de la FSU Bretagne depuis 2015
Séminaire U&A (Unité Action[1]) FSU64 (le 8 février 2024 à Bayonne)
« La langue est politique ». La formule est connue mais je voudrais introduire mon propos en la complétant quelque peu à ma façon : la langue est politique, mais les politiques de la langue ne savent pas forcément les politiques qu’elles font.
N’étant ni historien, ni sociologue, une comparaison entre la situation du breton dans notre région et celle de la langue corse ou celle du basque dans votre département pour justifier ma formule est hors de ma portée. Je voudrais cependant commencer par un bref exemple tiré de l’histoire du mouvement culturel et politique breton pour tenter d’illustrer cette formule liminaire.
Le combat pour la langue bretonne et le combat culturel et politique se rencontrent dans l’immédiat après Première guerre mondiale. Certes il y a eu au cours du XIXᵉ siècle des élites ou des intellectuels qui, pour des raisons souvent passéistes et anti-modernes, voulurent renouer avec la langue bretonne et se replonger dans les « racines celtiques » de la Bretagne (contribuant de fait à la recréer). Je pense ici à quelqu’un comme Hersart de La Villemarqué, auteur du Barzaz Breiz, qui a collecté dans cet esprit des poésies et des chants traditionnels bretons. Mais le combat culturel « de masse » (même si « masse » est ici un bien grand mot) pour la langue et la culture bretonne, n’intervient qu’après la Première guerre mondiale. En cela il n’est pas forcément très différent de ce qui a pu apparaître, notamment en Corse, même si pour la Corse[2] à la même époque la lutte culturelle et linguistique y est bien moins active (elle ne va vraiment prendre son élan révolutionnaire qu’à la toute fin des années 50 et au début des années 60).
Ce qui me semble important à noter pour commencer, et nous y reviendrons, c’est à quel point ce combat culturel et linguistique en Bretagne est hétéroclite tant du point de vue des personnalités que des références idéologiques.
Prenons le cas de Yann Sohier, le père de Mona Ozouf. Militant convaincu d’une Bretagne laïque, il est profondément antifasciste, profondément antimilitariste, un temps tenté d’adhérer au jeune Parti communiste et en relation très cordiale avec Marcel Cachin. Mais, étant indépendantiste il ne condamne pas les actions, même brutales, qui sont menées dans la période. S’il est connu surtout pour la Fondation en 1933 de l’association Ar Falz – la Faucille – et du Bulletin mensuel des instituteurs laïques partisans de l’enseignement du breton et s’il se sent profondément solidaire du combat prolétarien, Sohier est aussi un ami très proche de Olier Mordrel, nationaliste breton qui va collaborer avec l’Allemagne nazie, comme de Morvan Marchal, militant fédéraliste, créateur du Gwenn ha Du et plus tard adhérent au RNP de Déat. Et bien que ce soit, semble-t-il, avec beaucoup de réticences, Sohier adhère bel et bien au PNB, Parti national breton, dès sa fondation en 1931. Symboliquement, à sa mort – très jeune, il a une trentaine d’années en 1935 – seront présents à son enterrement aussi bien Morvan Marchal, Olier Mordrel, que Caouissin et le fameux abbé Perrot[3], et bien sûr Marcel Cachin[4]. Le combat culturel de l’époque concerne un monde militant très petit où tous se côtoient et où rien n’est encore vraiment tranché politiquement. C’est la guerre qui s’en chargera.
Remarquons aussi, pour finir cette courte incursion dans les débuts de la lutte culturelle et linguistique bretonne, la précocité du recours à la violence en Bretagne. La lutte bretonne est très rapidement dans l’idée de l’action violente, sans doute parce que, beaucoup plus que les bourgeois corses qui luttent de manière encore très intellectuelle dans les années 20, ou à la différence de la lutte culturelle basque espagnole qui reste relativement modeste jusqu’à la violence de la guerre civile espagnole, la lutte en Bretagne a pour référence une véritable guerre d’indépendance à la fois contemporaine et proche : la lutte irlandaise. Ce qui se passe en Irlande structure la pensée de tous ceux qui se posent alors la question d’une « autonomie » bretonne (autonomie prise en un sens très vague ici).
Les combats fratricides durant la période de l’Occupation constitueront la rupture traumatique qui va occulter durablement toute idée de recourir à la violence. Ce qui explique sans doute que la résurgence durant les années 70 de la lutte armée n’ira jamais aussi loin en Bretagne qu’en Corse ou dans l’espace basque à la même époque. Cette rupture des années d’Occupation a été aussi un moment clarificateur par rapport aux positions idéologiques ambiguës des années 20 et 30. Pas complètement non plus car les résurgences de la lutte culturelle et politique des années 60-70 – souvent identifiée comme de gauche ou d’extrême-gauche – vont parfois permettre la jonction entre des militants de cette jeune génération et certains des « grands anciens » des années 30 devenus infréquentables en 1945 mais dont une partie revient plus ou moins discrètement dans le jeu militant durant ces années-là[5].
I. Le contexte – Une spécificité de la « société bretonne » ?
L’expression « société bretonne » est aujourd’hui un lieu commun dans le débat public dans la région (et dans l’enceinte du Conseil régional[6]). Pourtant, en Bretagne comme ailleurs, elle ne va pas de soi. Qu’est-ce qui fait qu’une population sur un certain territoire fait société ? A partir de quand, et de quoi ? Et surtout que veut-on dire par là ? Sans prétendre répondre à ces questions complexes, d’autant plus quand on les applique à un cas précis, on aura plusieurs occasions d’examiner les usages politiques de cette notion dans les débats bretons. Tentons ici cette explication provisoire et un peu rapide que chez beaucoup de ses utilisateurs, l’expression signifie qu’il y aurait un certain nombre d’évidences partagées par les habitants des quatre départements de la Région administrative Bretagne (et par ceux de Loire Atlantique ?). Évidences suffisamment fortes pour qu’elles permettent du même coup de distinguer des « intérêts communs » propres aux habitants de la Bretagne (à 4 ou à 5 ?), distincts de ceux des autres, et par ailleurs susceptibles de primer d’autres intérêts nettement moins consensuels qu’on pourrait reléguer à un second plan (au moins pour un temps, le temps de faire avancer lesdits « intérêts communs »)…
A. « autonomie bretonne » : quelques étapes dans les revendications politiques et culturelles d’après-guerre
Quels que soient le sens et la réalité qu’on voudra donner à la notion de « société bretonne », la lutte politique et culturelle qui s’est engagée dans les années 20 et 30, et au cœur de laquelle la question de la langue a constitué une dimension importante, si ce n’est essentielle, a marqué la vie intellectuelle et politique en Bretagne.
Dans cette partie qui sera encore très historique, je vais essayer de développer deux axes qui me semblent essentiels dans le développement des luttes portant la revendication d’une autonomie de la Bretagne après 1945 (le sens que je donne à ce terme d’« autonomie » est également fort large).
Pour commencer, posons d’emblée que même dans les années 20-30, et encore plus évidemment après la Deuxième guerre mondiale, le positionnement nationaliste, disons d’opposition radicale à la France, semble avoir toujours été extrêmement marginal dans la population bretonne, y compris dans les milieux sensibles à la particularité régionale. On ne dit pas assez qu’en Bretagne comme en Corse, la période de la Grande Guerre, en dépit du prix terrible que celle-ci a représenté, est celle du renforcement de l’attachement de la population à la République. Quant à l’acceptation de la violence dans le combat pour les « droits culturels », elle n’a jamais été partagée dans la « société bretonne ». Et à l’exception de la période d’avant 45, la violence n’a jamais véritablement resurgi en Bretagne. Certes dans les années 70, début des années 80, il y a eu une résurgence de l’idée de lutte armée avec les actions du Front de Libération de la Bretagne (FLB), mais cela ne concerne qu’un noyau extrêmement restreint de militants. Rien de comparable avec le FLNC ou ETA. En Bretagne depuis 1945 la violence politique a été toujours très largement contenue par les mouvements, et surtout très largement réprouvée par la population.
Après le traumatisme de la Deuxième guerre mondiale qui continue à faire écho aujourd’hui encore, la lutte va prendre d’autres formes. Je vais en distinguer deux. La première concerne le monde économique. Au cours des années 50 tout d’abord, autour d’une institution qu’on appelle le CELIB, (Comité d’étude et de liaison des intérêts bretons), ancêtre des différents espaces où se retrouvent aujourd’hui acteurs économiques et sociaux de Bretagne. Il y a un petit peu de tout dans ce CELIB créé sous l’impulsion à la fois de René Pleven un MRP ou tout comme, et de l’ancien ministre-paysan de la Libération, Tanguy-Prigent, de la SFIO. « Lobby breton », le CELIB va se concentrer sur la question économique et l’aménagement du territoire avec la double idée du développement et de désenclavement de la Bretagne avec surtout un fort sentiment d’infériorité en termes de niveau de vie. Produisant nombre de rapports, poussant à la constitution d’un intergroupe breton au Parlement, l’influence du CELIB n’est pas mince : la dernière sortie de De Gaulle en 69 fut pour Quimper où il rappela son engagement de désenclaver la Bretagne avec des grandes routes sans péage (ce dont on reparlera à l’automne 2013 quand il sera question de poser des portiques « écotaxe » sur les routes nationales bretonnes). Les secousses à répétition dans le monde agricole durant ces décennies des Trente glorieuses vont venir alimenter cet aspect, imposant l’idée qu’il est possible en Bretagne d’unir des forces venant d’horizons extrêmement différents pour défendre – toujours entre guillemets – les « intérêts bretons ».
Second axe : le retour de la revendication culturelle dans l’espace politique à partir du début des années 60. C’est elle qui va donner naissance au combat contemporain pour la langue bretonne. Si, comme on a dit plus haut, tous les liens n’avaient pas forcément été rompus avec les infréquentables des années 30-40, le fait politique notable en cette période du milieu des années 60, c’est la création de l’Union Démocratique Bretonne (UDB), une force politique toujours présente aujourd’hui en Bretagne. Progressiste, résolument à gauche et résolument régionaliste (même si elle a eu ses moments plus nationalistes pas toujours forcément avoués), l’UDB s’inscrit dans la dynamique des mouvements de la gauche et de l’extrême gauche des années 60 et 70 (elle se rapprochera à un moment du PSU). Si l’UDB aujourd’hui ne pèse pas forcément très lourd et peut apparaître comme un « supplétif » de telle ou telle force de gauche selon les circonstances (elle est souvent associée à Europe Écologie les Verts), c’est toujours une voix qui compte dans le débat public et qui témoigne des luttes pour les droits culturels des années 60 et 70.
Les actions de ces années-là portent évidemment de manière visible les revendications pour la langue et pour la culture et donnent naissance à des manifestations culturelles alternatives, par opposition au folklore traditionnel.
Mais elles portent bien au-delà avec l’idée d’une transformation globale de la « société bretonne » dans un sens progressiste incluant par conséquent les luttes sociales nombreuses de cette période (par exemple la grande lutte des salariés du « Joint français » en 1972 à St Brieuc[7]). C’est dans cet élan que vont apparaître des évolutions majeures en ce qui concerne la transmission de la langue. En cette fin des années 70 les revendications tous azimuts en matière sociale, politique et « sociétale » ont un fort écho auprès de la jeunesse de Bretagne. Dans l’éducation nationale où apparemment il ne se passe rien du côté de la langue, on voit ainsi essaimer localement quelques cours « sauvages » de breton ou quelques cours sur l’histoire de la Bretagne, dans tel ou tel lycée – sous l’impulsion d’un prof, parfois sous l’impulsion des élèves eux-mêmes qui vont exiger ces cours. S’il existe une chaire de celtique à l’université depuis le début du XXe siècle, la licence de Breton, elle, attendra 1981 et le CAPES de Breton 1985 (avec le DEUG de Breton dans la foulée). Et surtout, bien sûr, on voit émerger Diwan (germe en breton), école associative, créée en 1977 sous l’impulsion de René L’Hostis, alors militant à la fois à la CGT et à l’UDB (la première école est ouverte à Lampaul-Ploudalmézeau le 23 mai 1977[8]).
Pour se risquer à un lien à très gros traits entre les deux axes que nous avons présentés – la mobilisation des secteurs économiques et celles des militants et activistes de la lutte culturelle – on pourrait avancer l’idée que ce qui domine dans beaucoup de secteurs de la population en Bretagne, c’est la conscience de ce qu’on n’appelait pas encore alors la « périphéricité » de la Bretagne, avec l’idée, bien avant les lois de décentralisation, qu’il devrait y avoir une « voie propre » à la Bretagne. Sûrement pas une revendication d’autonomie comme celle qui monte alors en Corse dans ces années 1970, mais une sorte de « consensus breton » autour de l’idée que même dans un cadre national, il devrait y avoir des espaces pour prendre en compte les spécificités de la Bretagne. C’est sans doute la raison pour laquelle le « pacte girondin » ou la « différenciation », termes régulièrement agités par Macron mais sans réelle traduction, trouvent malgré tout toujours un certain écho en Bretagne. Une conviction elle-même soutenue par cette autre qu’en Bretagne on peut débattre et discuter, y compris entre patronat et syndicats, un peu différemment et un peu mieux qu’ailleurs… Credo qui n’a rien d’étonnant à bien y réfléchir dans un territoire travaillé depuis deux siècles par le christianisme social puis par le syndicalisme chrétien dont les louanges sont encore aujourd’hui chantées en chœur aussi bien par les héritiers politiques de J-Yves Le Drian que par la CFDT et par les éditorialistes de la presse du puissant groupe Ouest-France.
Avant de s’intéresser plus spécifiquement à la question de la langue puis à la manière dont les syndicats de la FSU s’en sont emparés, il ne faudrait pas oublier un dernier élément spécifique de la politique bretonne – loin d’être consensuel celui-là mais qui revient régulièrement dans le débat et qui met chaque fois du monde dans la rue – c’est le serpent de mer de la « Bretagne à cinq départements ». Aujourd’hui résolument porté par la majorité régionale[9] et fréquemment rappelé (sans que personne n’ose pour autant se lancer dans l’organisation d’un véritable débat public sur la question), ceux qui portent la question de la langue y sont souvent sensibles – ne serait-ce que parce qu’en Loire Atlantique l’enseignement ne bénéficie pas du cadre d’organisation qui structure son développement dans les quatre départements de Bretagne. La FSU ne s’est jamais prononcée sur la question, celle-ci n’étant pour le moment pas l’objet d’un véritable débat public et encore moins d’un vote. Mais si à la faveur d’une circonstance politique particulière celle-ci avait à être tranchée, les positions seraient sans doute très diverses au sein de la FSU Bretagne.
Il ne serait certes pas difficile de dégager un consensus entre nous autour du bilan toujours à faire de décennies de décentralisation et de « réorganisation » territoriale, du besoin de Services publics et de démocratie pour les citoyens. Mais quant à pouvoir définir une position précise de la FSU sur la Bretagne à cinq ou à quatre et à donner des consignes de vote, j’en suis nettement moins sûr. Mais passons à la question spécifique de l’enseignement du breton.
B. la question spécifique de la langue et la lutte pour l’enseignement du/en breton
Comme on l’a vu plus haut, Diwan est une école laïque et gratuite organisée sur un mode associatif très éloigné du privé catholique. Elle a été créée en pleine période d’ébullition dans la lutte pour les droits culturels de la Bretagne. Appliquant en quelque sorte le mot d’ordre punk de l’époque « do it yourself », la création des écoles Diwan venait en réaction à l’inaction de l’État en dépit de l’avancée introduite par la loi Deixonne de 1951 première loi à consacrer la présence (sur le papier) des langues régionales à l’École.
Il y a alors un fort volontarisme développé tant par des familles que par des militants pour créer des écoles Diwan qui vont effectivement être portées de manière très vigoureuse en cette fin des années 70. Certes en 1977, il y eut le geste de Giscard d’Estaing de signer une « Charte culturelle bretonne » avec l’Établissement Public Régional de Bretagne et les conseils généraux des départements concernés, préfigurant lointainement les « Conventions spécifiques » sur les langues de Bretagne. Cette Charte qui fait mention des besoins et des droits culturels avec la fondation d’un Conseil culturel, etc. fait également mention de l’importance de l’enseignement du breton. Mais elle reste sans effet.
Comme on l’a vu, les « bougés » en termes institutionnels n’interviennent qu’au cours des années 80 : création des premières classes bilingues dans le primaire en 1982, licence CAPES et DEUG de Breton apparaissant au milieu des années 80. N’oublions pas ici le rôle de l’UGB (Unvaniezh ar Gelennerion Brezhonneg) – association des profs de breton créée au tout début des années 80 qui va engager la bagarre pour la licence de Breton et pour imposer le CAPES de Breton au milieu des années 80.
Le temps que tout cela se mette en place, on est presque 10 ans après la création de Diwan. Diwan a donc déjà eu le temps de sortir de sa phase de démarrage et de se développer. Il a surtout eu le temps d’incarner aux yeux de tous ceux qui combattent pour l’accès à l’enseignement de la langue un véritable « Service public par défaut d’Etat » répondant (enfin) à la demande locale. Cela donne à Diwan une forte légitimité qui s’ajoute à l’idée qu’il est porteur de valeurs progressistes proches, comme on l’a dit, du mouvement politique UDB et de toute une partie de la gauche.
Dans l’enseignement public aussi, de nombreux enseignants qui vont porter le bilingue dans ces années – et faire face à des difficultés sans nom – qui ont parfois une proximité intellectuelle et idéologique forte avec l’UDB vont témoigner d’une certaine gratitude vis-à-vis de la lutte de terrain menée par le Diwan des premiers temps (certains collègues ayant parfois aussi familialement des liens avec celles et ceux qui avaient créé des écoles Diwan sur le terrain). D’où ce que je nommerais ici de manière sans doute très maladroite – mais j’espère point trop choquante pour les collègues – une sorte de « complexe » pour caractériser l’attitude à l’égard de Diwan qui a longtemps dominé chez de nombreux enseignants (et militants) de/en breton dans le public. Un complexe qui n’a commencé à s’estomper que depuis une décennie, sans doute parce que le Diwan d’aujourd’hui est bien différent du Diwan de ces années pionnières. Quoi qu’il en soit, cet état de fait a rendu longtemps délicat de critiquer Diwan, y compris pour les militants de l’enseignement public.
II. le breton à l’école : la prise en charge progressive du dossier par nos syndicats
Comme on vient de le voir, les premiers enseignants qui se lancent dans ces années pionnières de l’enseignement de/en breton dans le public sont aussi pour une grande partie des militants appartenant au mouvement culturel au sens large (engagés dans des groupes musicaux, de théâtre, des radios, etc). Souvent idéologiquement proches de l’UDB, ils se reconnaissent de prime abord davantage dans une CFDT certes déjà changée mais qui apparaît cependant encore jusqu’à la fin des année 80 comme un outil syndical où les différentes forces de la gauche contestataire non-communiste peuvent se retrouver.
Ce n’est que progressivement que ces collègues vont aller du SGEN-CFDT vers les syndicats du premier et du second degré de la FEN puis de la jeune FSU. Ce qui les y conduit, c’est la conviction qu’en dépit de certains points de désaccord parfois avec nos syndicats, c’est là et pas ailleurs qu’ils trouveront des militants de terrain prêt à engager la confrontation pour obtenir des moyens et pour faire respecter les textes.
Dans le même temps, à l’interne de nos syndicats, nationalement et parfois aussi localement, la question de la langue bretonne est loin d’apparaître comme une question importante, et certains continuent de trouver la défense de celle-ci quelque peu suspecte. La tentative avortée de Jack Lang pour intégrer Diwan dans le Service public d’éducation en 2001 va constituer à cet égard un point de cristallisation mais aussi une étape dans l’engagement de nos syndicats sur ce terrain. On ne reviendra pas sur les erreurs – involontaires ou non – commises alors par le Ministère ni sur la complexité des débats de l’époque à l’intérieur du SNES autour de la question de « l’immersion ». On notera seulement au passage que la caractérisation de « l’enseignement bilingue par la méthode dite immersive » sur laquelle s’étaient concentrées toutes les résistances puis les arrêts du Conseil d’État, se retrouve aujourd’hui en bonne place dans la Circulaire du 14 décembre 2021 que le Ministre Blanquer a dû concéder après la bataille mené par son ministère contre la loi Molac… circulaire que nul n’a songé à contester cette fois. Quoi qu’il en soit, l’accident réglementaire de 2001 n’est pas resté tout à fait sans effet pour les langues régionales : outre une circulaire permettant d’encadrer l’enseignement bilingue dit « à parité horaire » (https://www.education.gouv.fr/bo/2001/33/encartd.htm), il y eut aussi la création des CALR, Conseils académiques des langues régionales (https://www.education.gouv.fr/bo/2001/33/encarta.htm, dans les régions concernées par un enseignement de langues régionales. Dans ces nouvelles instances où sont représentées toutes les forces en présence (collectivités locales et territoriales, État, universités, privé catholique, Diwan et représentants des personnels du public) sont débattues l’organisation et le développement des langues régionales. Le travail dans le cadre du CALR va amener un fort investissement de la FSU.
L’épisode de 2001 et les intenses débats suscités dans toutes les instances de nos syndicats ont sans aucun doute constitué une étape importante dans l’investissement de la question de la langue bretonne. À mon sens c’est vraiment de là que date la prise de conscience que cette question, en tout cas dans notre académie, n’est pas annexe et que tous doivent s’y investir pour en faire une question d’intérêt général… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas encore aujourd’hui des adhérents (parfois des militants), résolument hostiles à l’enseignement de la langue bretonne…
Pour en revenir une dernière fois à Diwan, je pense qu’on peut dire sans trop se tromper que l’échec de l’intégration en 2001 a été dû au moins autant à des forces hostiles à l’intérieur du réseau qu’à l’extérieur de celui-ci, beaucoup de ses dirigeants. Pour ce qui est des résistances à l’intérieur de Diwan on peut tenter deux explications. La première est peut-être à chercher dans la crainte que cette institutionnalisation coupe Diwan d’une base qui considérait la lutte pour la langue comme un élément propre à « révolutionner » la question de la transmission et donc porteuse de changements sociétaux plus vastes que la simple question scolaire.
Mais se tromperait-on si on supposait aussi que, pour un certain nombre de dirigeants d’alors du moins, il s’agissait plutôt d’une anticipation avisée de l’intérêt qu’il y aurait à retirer à terme à rester en marge de l’École publique ? Position que pouvait alors venir conforter l’espoir de devenir un jour un « Service public bis » soutenu par la puissance régionale alors en pleine ascension et de plus en plus désireuse de faire de la question de la langue un élément de sa communication politique. Ce n’est pas, ce me semble, un point à négliger car, 25 ans plus tard, c’est sous une forme très marketing que le réseau Diwan se présente aujourd’hui et qu’il défend sa méthode immersive comme un plus, reléguant de plus en plus l’aspect militant à l’arrière-plan. Un concurrent comme un autre de l’École publique en somme, qui se développe aujourd’hui moins par la dynamique militante locale que par une stratégie opportuniste qui va aller là où le dynamisme démographique rend les ouvertures les plus faciles et répondre aux désirs de certaines familles de bénéficier de quelques « avantages comparatifs » pour leurs enfants. Pour les collègues engagés dans l’École publique qui luttent au quotidien pour défendre la langue et leurs classes mais qui subissent des conditions d’enseignement de plus en plus dégradées, ces éléments ont largement contribué à distancier le regard sur Diwan…
On ne se lancera pas ici dans un essai d’histoire contrefactuelle, mais on peut tout de même se dire que si Diwan avait été intégré au public il y a 25 ans – ce qui ne se serait sans doute pas fait sans difficultés – la situation en Bretagne aujourd’hui serait toute autre. Ailleurs aussi, et Emmanuel Macron n’aurait sûrement pas pu aller en Corse proclamer comme il l’a fait sa promesse de « créer un grand service public du bilingue » ! Comment peut-on annoncer la création d’un service public qui existe déjà, et cela d’autant plus fortement en Corse où l’enseignement de la langue est largement proposé aux élèves et est porté en quasi-totalité par l’école publique ? Il faut dire que l’annonce s’inscrivait alors dans le cadre des discussions sur le statut de la Corse menées par G. Darmanin avec l’exécutif de l’île dominé par les autonomistes et les nationalistes apparemment pas défavorables à l’implantation d’un réseau associatif davantage à leur main.
La Bretagne n’est pas la Corse et il n’est vraiment pas si sûr que cela que pour les élites politiques de la Région la promotion de Diwan et de quelques autres « marqueurs identitaires » s’inscrive dans un projet politique aussi cohérent. En Bretagne les majorités régionales sont des coalitions assez hétéroclites entre des forces qui n’entendent sûrement pas de la même manière cette idée apparemment consensuelle de « spécificité de la société bretonne ». Pour la majorité actuelle menée par le socialiste Loïg Chesnais-Girard on pourrait dire sans trop se tromper que dans la continuité de son ancien mentor Jean-Yves Le Drian, il s’agit moins d’un engagement culturel et politique que d’un usage politique des questions culturelles et linguistiques et plus généralement de quelques « marqueurs identitaires ».
Un usage tactique destiné en premier lieu à renforcer la Région vis-à-vis de l’État en accréditant la thèse d’une spécificité telle qu’une autonomie presque au même niveau que celle envisagée par Macron pour la Corse aurait un sens pour la Bretagne… C’est sans doute aussi (surtout ?) une tactique à usage interne dans le Parti socialiste par laquelle Loïg Chesnais-Girard comme Carole Delga entendent marquer le terrain dans le cadre d’un débat sur les orientations du PS toujours en suspens.
Il n’empêche que, pendant ce temps, les symboles de l’identité territoriale, voire de la « celtitude », se multiplient dans la communication régionale. C’est ainsi que le 28 novembre 2021 à Lorient lors du derby de football Lorient-Rennes au cours duquel Loïg Chesnais-Girard a officialisé le Bro gozh ma zadoù[10] comme hymne officiel de la Région. Visiblement transcendé par l’évènement le Président déclarait alors :
C’est un air qui donne immédiatement des frissons, car il génère un sentiment d’appartenance à une communauté et à des valeurs qui rassemblent. Mais ce jour-là à Lorient, c’était plus fort encore, car il avait été décidé que c’était le bon moment pour officialiser le mariage entre le Bro gozh et la Bretagne. La collectivité régionale que je dirige est fière d’être désormais dotée d’un hymne.
Que d’autres forces dans et hors de la majorité régionale puissent reprendre à leur compte ces propos plus sincèrement que le Président de Région et qu’elles souhaitent donner une portée beaucoup plus forte que lui à cette symbolique identitaire, c’est certain. Mais comme on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, on peut gager que Loïg Chesnais-Girard n’en sortira pas de longtemps. D’autant que le monde économique est lui-même devenu le principal demandeur de « marqueurs identitaires » apparemment très efficaces pour vendre la « marque Bretagne » sous toutes ses formes. Tel était le positionnement du Keréden (appelé aussi institut de Locarn) disparu récemment. Un think tank patronal accommodant l’ultra-libéralisme à la mode de Bretagne. Promoteur de la marque « produit en Bretagne », le Kéréden a également forgé la notion de « Diaspora économique bretonne » devenue le dada des grands patrons bretons et repris en toute occasion par Christian Troadec, le self-made-man du Kreiz Breizh[11] jusqu’à tout récemment Vice-président de la Région en charge des Langues de Bretagne…
Pour finir quelques mots encore sur la situation de la langue dans notre région et sur son poids, on va le voir toujours très relatif dans l’enseignement.
Lorsque la question de l’intégration de Diwan se posait au début de l’année scolaire 2001, les enfants suivant un enseignement bilingue se répartissaient à peu près en trois tiers égaux (aux alentours de 35% pour le public et pour Diwan et le privé en-dessous de 30 %). Aujourd’hui, l’enseignement public représente plus de 50 % des enfants du bilingue dans le premier degré, contre moins de 30 % pour le privé catholique et environ 15 % pour Diwan.
L’enseignement public qui a démarré non sans difficultés dans les années 80 a donc connu un développement fort et continu en dépit des lenteurs de l’administration. Le rapport de force n’est certes pas le même dans le Second degré où le bilingue dans le public est à peu près à égalité avec Diwan. Surtout l’optionnel s’y retrouve dans des conditions considérablement dégradées ces dernières années. On voit dès lors que si le réseau Diwan est toujours aussi offensif dans sa communication, dans les faits il ne se porte pas si bien que cela. Ce qui explique en bonne part tous les efforts déployés par la Région pour trouver des voies de financements. Ce qui explique aussi pourquoi, pour la FSU il apparaît aujourd’hui important que la possibilité soit désormais donnée par la Circulaire de 2021 de développer au sein du public un enseignement bilingue au-delà de la stricte parité 50-50.
Au total, le nombre des élèves qui apprennent le breton reste fort loin de permettre d’assurer le renouvellement des locuteurs : aux alentours de 20 000 soit en tout à peu près 3% des élèves. La langue bretonne reste donc aujourd’hui plus que jamais en très grand danger du fait du vieillissement constant de l’âge moyen de ses locuteurs (aujourd’hui 200 000 soit moins de 5% de la population et avec une moyenne d’âge autour de 70 ans selon la dernière enquête TMO).
Plus qu’un projet de « réappropriation culturelle », c’est aujourd’hui un sentiment d’urgence qui domine chez les défenseurs de la langue. La FSU qui soutient que la diversité culturelle et linguistique est une richesse humaine à défendre face à l’uniformisation du monde imposée par le capitalisme et toutes les formes de domination, ne peut pas être insensible à cette urgence, d’autant moins lorsque celle-ci concerne notre propre pays.
III. le travail fédéral dans la FSU Bretagne
Pour comprendre ce qui constitue peut-être pour le coup une vraie « spécificité bretonne » au niveau de la vie de notre fédération, on remontera à la phase de construction de la FSU en Bretagne – plus exactement à la période de crise qu’ont traversée la FEN et ses syndicats entre le printemps 91 et le printemps 93. Les choses se sont en effet déroulées d’une manière très intéressante, relatée en 2007 par notre camarade Fernand Etiemble[12], professeur d’histoire-géographie, militant de la FEN puis de la FSU, secrétaire général du S3 Rennes dans les années 80.
Au début des années 90 et depuis une période déjà relativement importante, les quatre sections départementales de la FEN, comme les quatre sections du SNI-PEGC, principale composante de la FEN en nombre d’adhérents, avaient une orientation majoritaire et donc des secrétariats départementaux portés par les militants du courant Unité et Action. Il y avait donc une cohérence à la fois entre les deux principaux syndicats de la FEN, SNES et SNI, et avec les sections départementales de la FEN, une cohérence et une vie fédérale déjà beaucoup plus intense qu’ailleurs. Ce fédéralisme actif existait non seulement dans le cadre statutaire des sections départementales mais aussi, de plus en plus sur un plan régional dans le cadre de la coordination académique « FEN–Bretagne », dont l’activité portée par Jean-Yves Jaouen (secrétaire du SNES 56) s’était développée dans de très nombreux domaines (représentation au Comité économique et social de Bretagne, coordination pour les organismes paritaires, mise en place de l’IUFM de Bretagne…).
Aussi, en Bretagne, la période « d’implosion » de la FEN n’en a-t-elle justement pas été une dans la mesure où l’esprit fédéral, bien au-delà de la lettre de la FEN d’alors, est parvenu à maintenir peu ou prou l’organisation tout au long. La vie fédérale en Bretagne ressemblait en quelque sorte déjà un peu à la « FEN idéale » que beaucoup appelaient de leurs vœux en cette période de crise. Le 2 avril 1992, une conférence de presse réunit les responsables de la FEN-Bretagne et les représentants de quatorze syndicats de la fédération, dont le SNI-PEGC, pour dénoncer en commun les projets d’exclusion du SNES et du SNEP et pour appeler à « faire cesser cette folie ». Face au processus délétère enclenché par la direction nationale, les camarades de Bretagne exhortaient chacun et chacune à regarder le travail fédéral mené par la FEN en Bretagne et à la prendre en quelque sorte pour modèle d’une fédération où le débat et l’échange seraient au centre de la vie fédérale et où les syndicats nationaux ne se verraient pas imposer des positionnements non débattus et où les courants de pensée peuvent s’exprimer etc.
Ce positionnement original de la FEN Bretagne et de ses syndicats s’est confirmé dans le vote massif (à plus de 85%) contre la dissolution de la FEN dans le nouveau SE, « Syndicat des Enseignants ». Très rapidement, dès la rentrée 92, un travail collégial se met en place pour maintenir la vie fédérale, débouchant dans le département d’Ille-et-Vilaine sur un « Comité départemental fédérateur unitaire » constitué en janvier 93, à l’image des Comités de liaison unitaires qui avaient été lancés au plan national et qui s’engageait d’ores et déjà dans la construction d’un nouvel outil fédéral. Aussitôt après la constitution de la FSU au printemps 93, le 22 avril 1993, se tenait la réunion d’installation du « Conseil Régional de Coordination de la FSU-Bretagne » prolongeant l’ex « FEN-Bretagne » mais en intégrant le nouvel esprit FSU par l’ouverture aussi bien aux représentants des quatre sections départementales et des syndicats nationaux qu’aux courants de pensée (U&A – EE – Autrement) impliqués localement dans la naissance de la FSU.
On peut en conclure que cette situation spécifique à la Bretagne a sans aucun doute contribué à former des militants U&A d’un type particulier, plus ouverts, plus capables d’entrer dans la discussion et dans l’échange avec les camarades d’autres syndicats et d’autres courants de pensée pour faire avancer un travail réellement coordonné sur les dossiers académiques et régionaux.
Ce dernier long détour historique nous aura finalement ramené à la question des langues régionales et à la façon dont les militants U&A l’ont appréhendée depuis environ 30 ans. Mon hypothèse d’une originalité profonde des militants U&A dans la FSU Bretagne semble ici se vérifier quand on pense à Patricia Laborie et à Michèle Carmes qui ont dirigé le S3 du SNES au cours des années 90-2000, et bien sûr aussi à Jean-Luc Le Guellec, coordinateur de la FSU au CFR Bretagne et représentant de la FSU au CESER.
Il suffit de lire le numéro spécial du SNES Bretagne de novembre 2001[13] consacré aux débats d’alors sur l’intégration de Diwan[14] pour saisir ce qui fait l’originalité et aussi le courage dans l’engagement de Michèle et Patricia sur la question du breton dans le Service public d’Éducation. On ne doit pas oublier non plus le parcours d’une militante U&A comme Armelle Le Coz, responsable du SNUipp29 de 2012 à 2017 trop tôt disparue. Figure militante de la « cause bretonne » engagée très tôt dans les luttes et marquée par l’expérience de Plogoff, militante active à l’UGB, pédagogue passionnée par la question des méthodes de lecture et d’apprentissage bilingue, Armelle a aussi été une militante U&A particulièrement offensive dans les instances. Son engagement culturel militant faisait d’elle une figure également très reconnue au niveau de la Région comme de l’Office de la langue bretonne. Sous son impulsion le breton a aussi gagné progressivement une visibilité accrue dans l’expression et les publications du SNUipp finistérien et au-delà.
Tous ces militants profondément originaux ont en commun, outre un sens aigu de la tactique, un ancrage très fort dans le métier avec une sensibilité particulière à la parole des collègues sur le terrain. Arrivant au S2 Finistère en 2005, puis rapidement au S3[15] du SNES, cette originalité des camarades U&A m’a immédiatement frappé. Si comme on l’a vu, il y a de longue date en Bretagne un cadre propice au travail fédéral, il y a incontestablement aussi des militants U&A d’un type particulier, capables d’aller sur des terrains qui ne sont pas forcément ceux sur lesquels on pourrait attendre U&A. En témoignent la richesse et la diversité des stages organisés par la FSU régionale sur des thématiques comme la santé, l’alimentation, le climat, sur les nouveaux mouvements politiques comme Podemos, le droit au logement… De ces stages et des rencontres qu’ils permettent avec des intervenants venus de tous horizons, la FSU tire de nombreux contacts avec des chercheurs comme avec des institutionnels mais aussi avec des organisations militantes très diverses telles que la fédération des CIVAM[16], l’association Minga[17], Les faucheurs volontaires, Droit à la ville, etc. Certains pourront y voir quelques tendances « gauchistes ». Le fait est que lors des CFR – Comité fédéral régional – de la FSU-Bretagne, les débats comme les thématiques de travail que nous nous donnons chaque fois sont très divers et d’une très grande liberté, touchant à des sujets dans lesquels les camarades d’autres tendances se sentent, je crois, immédiatement à l’aise.
Un autre trait frappant du fonctionnement du Comité fédéral régional tel qu’il s’est organisé en particulier sous l’impulsion de Jean Luc Le Guellec au début des années 2000, c’est la capacité à réunir largement tous les syndicats de la FSU, de l’État, de la territoriale, de Pôle Emploi, avec la volonté affirmée de traiter des sujets régionaux et de ne surtout pas se cantonner aux thématiques propres aux syndicats de l’Éducation (et encore moins aux seuls personnels enseignants).
Cette volonté permanente d’élargir la réflexion s’est traduite par la création de plusieurs Groupes Spécifiques de Travail (GST). Intégrés dans notre règlement intérieur (RI) ces groupes investissent des questions au long cours : par exemple, pour l’emploi-formation, le groupe actuel existe depuis 2005. Des groupes peuvent aussi évoluer en fonction des besoins du travail fédéral : ainsi en 2010 un groupe spécifique avait été constitué pour anticiper la mise en place des CHSCT – comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – dans l’Éducation en partageant l’expérience de camarades d’autres ministères ayant déjà ces instances ; puis l’activité a été prise en charge directement par les syndicats de l’EN dans le cadre de leur coordination académique. Dans ces groupes, des militants de différents syndicats de la FSU travaillent ensemble pour préparer non seulement des instances (par exemple le CREFOP – Comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles – pour le groupe emploi-formation ou le CALR pour le groupe LR) mais aussi pour préparer des publications, des stages, etc., afin d’éclairer le Comité fédéral régional sur ces questions de fond. Bien sûr ces groupes ne fonctionnement pas en vase clos : les responsables des syndicats concernés sont présents, ou au moins associés, et l’information circule en permanence entre le groupe et les syndicats comme les sections départementales FSU.
Cette dynamique du travail en commun, et la capacité à y consacrer du temps en acceptant pour cela de se détacher un peu de l’activité de son propre syndicat, font que sur certaines questions sensibles comme on en a souvent sur le dossier du breton, nous avons vraiment une capacité à aller ensemble dans le même sens en trouvant des points de convergence.
Cela ne va jamais de soi. Je me souviens lors de mes débuts au S3 sous la houlette de Patricia Laborie qu’il n’était pas encore très simple d’harmoniser les positionnements entre le SNES et le SNUipp quant à la place à donner à l’enseignement optionnel de breton. Ce sont des choses qui ont été travaillées au long cours et on est arrivés progressivement à des positionnements mieux articulés et cohérents. Pour ce qui est du travail entre EE et U&A sur les dossiers il me semble là aussi qu’à l’échelon régional, en particulier sur le dossier du breton, il n’y a pas de « division du travail » comme on peut parfois la voir dans la FSU ou dans ses syndicats. Tout n’est pas parfait bien sûr, la difficulté principale étant aujourd’hui de continuer à consacrer du temps au travail fédéral alors que les forces militantes manquent dans les syndicats et que les calendriers d’instances explosent. Notre groupe sectoriel « LR » par exemple a trouvé un rythme de travail très régulier, recourant notamment à des points visio très fréquents ; mais parfois ce temps consacré au groupe peut apparaître à d’autres camarades comme du temps pris sur les tâches du syndicat, ce qui est inévitable puisque les camarades engagés dans ce groupe sont aussi très impliqués à l’échelon départemental ou académique.
Rien ne se fait jamais facilement et simplement, et tout peut toujours être rediscuté ou remis en question, évidemment au gré des circonstances et des phases de crise que nous pouvons traverser. Pour autant, la volonté de travail en commun me semble suffisamment inscrite dans la vie de notre CFR pour qu’il ne semble ne pas risquer d’être remis en question de sitôt.
Conclusion
Sans faire de cette analyse du travail de la FSU en Bretagne un panégyrique, je dirais que ce qu’on peut en retenir, c’est de penser les choses de manière fédérale en n’ayant pas peur de faire vivre le débat, non pas dans la confrontation mais en acceptant d’aller au fond des choses et de discuter des positionnements ou des réflexions qui ne sont pas forcément évidentes pour U&A. Parfois aussi accepter d’avouer ses doutes ou ses incertitudes. Mais pour cela il faut que le Comité fédéral régional vive dans toutes ses composantes, ses syndicats et ses sections départementales qui en sont les deux composantes, et aussi en veillant à ce que les courants de pensée y soient bien présents et à ce que les camarades qui les incarnent trouvent un intérêt à participer à la vie du Comité fédéral régional (CFR). Et comme on l’a dit, le souci constant est de ne pas se retrouver dans un tête-à-tête exclusif premier/second degré parce, faute de temps et de moyens, ou par perte de contact avec d’autres SN, on n’aurait plus que quelques militants pour échanger. Il faut donc tout faire pour continuer à embarquer tout le monde. De ce point de vue les opérations de renouvellement du CFR tous les trois ans mais surtout les contacts entretenus au quotidien par le « coordo CFR » avec chaque composante du CFR s’avèrent essentiels.
Encore une fois, je suis convaincu que nos syndicats de l’Éducation ont absolument besoin que les questions de l’Éducation, certes essentielles, soient toujours « retrempées » dans un cadre un peu plus général – celui de la Fonction publique d’abord, celui de l’Interpro ensuite. Non pas pour les minorer ou les relativiser mais bien au contraire pour leur donner tout leur sens dans le projet global de société que nous portons.
A quelques mois de laisser mes mandats à d’autres camarades après une dizaine d’années passées à la coordination du CFR Bretagne, c’est vraiment la grande leçon que je retire de cette vie fédérale qui a apporté au militant SNES que j’ai été tout d’abord un extraordinaire enrichissement.
[1] Note FELCO : Une des principales tendances de la FEN, puis de la FSU, majoritaire dans la plupart des syndicats qui composent celle-ci. La FSU, comme la FEN autrefois, reconnaît le droit de tendance, qui permet aux adhérents de se constituer en groupe interne, c’est-à-dire de se regrouper autour d’idéaux, de pratiques… pour, au sein de cette organisation, faire progresser ses idées et se présenter aux élections internes.
[2] NDLR – Une précision est apportée par Pasquale Ottavi, professeur des universités en retraite, auteur de l’ouvrage Le bilinguisme dans l’école de la République ? Le cas de la Corse, Albiana, 2008 : « Si la distinction vaut pour la fin du XIXe siècle, il faut retenir qu’en Corse comme en Bretagne le lien entre langue et politique se fait sensiblement à la même période et également sous l’influence du Home-rule irlandais. Aux lendemains de la Première Guerre mondiale, Petru Rocca fonde le mouvement corsiste pour le réveil de la conscience insulaire et la protection du particularisme culturel. Le mouvement régionaliste devient autonomiste dans les années 1920 en lien avec d’autres mouvements autonomistes tels que le Partito sardo d’azione mais aussi l’autonomisme breton avec lesquels sera tenté un rapprochement ».
[3] Note FELCO : militant pour la langue bretonne, il fut accusé de collaboration et abattu en 1943 par la Résistance.
[4] Note FELCO : Marcel Cachin (1869 -1957) : dirigeant national du PCF, défenseur de la langue bretonne. Voir : Georges Cadiou, Marcel Cachin, un Breton émancipé, éd. Yoran Embanner, 2021, https://www.yoran-embanner.com/livres-bretagne/524-marcel-cachin-breton-emancipe-georges-cadiou.html.
[5]À écouter, l’excellente série documentaire de Kristelle Le Pollotec sur France Culture
[6] Note FELCO : Jean-Marc Cléry siège au conseil économique, social et environnemental régional (CESER) de Bretagne au titre de la FSU. Le CESER est une assemblée consultative placée auprès du conseil régional et de son président.
[7] Lire la publication anniversaire réalisée par la section FSU 22 : Une page d’histoire du syndicalisme au nord Bretagne – la section départementale de la FEN et la grève du Joint Français (1972) https://bretagne.fsu.fr/une-page-dhistoire-du-syndicalisme-au-nord-bretagne-la-section-departementale-de-la-fen-et-la-greve-du-joint-francais-1972/)
[8] Note FELCO : voir https://www.diwan.bzh/fr/etablissements/bro-diwan-gwiseni/lecole-diwan-de-ploudalmezeau
[9]Voir le vœu émis par le Conseil régional de Bretagne à l’automne 2021 https://www.bretagne.bzh/app/uploads/Voeu_reunification.pdf
[10]Chant créé au début du XXe siècle par le barde néo-druidique François Jaffrenou, dit Taldir (1879-1956). C’est une version modernisée et révisée qui circule aujourd’hui.
[11] Note FELCO : il s’agit de l’appellation géographique donnée en breton, mais également en français, au centre de la Bretagne, et particulièrement à sa partie située en Basse-Bretagne, dans la région de Carhaix, Callac, Rostrenen et parfois au-delà, ou dans la partie de Cornouaille qui sépare le Trégor du pays Vannetais .
[12] Communication de Fernand Etiemble au stage régional de juin 2007 à Dinard sur l’histoire de la FSU : https://bretagne.fsu.fr/wp-content/uploads/sites/32/2024/02/histoire-de-la-FSU-Bretagne.pdf
[13] En ligne sur le site de la FELCO : http://www.felco-creo.org/wp-content/uploads/2021/01/2001-SB-SNES-sur-LR-2001.pdf
[14] Voir le numéro du SNES Bretagne (https://bretagne.fsu.fr/wp-content/uploads/sites/32/2024/02/SB-SNES-sur-LR-2001.pdf)
[15] Note FELCO : S2 et S3 : respectivement section départementale et section académique du SNES, syndicat du second degré fédéré dans la FSU.
[16] Note FELCO : Centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural : https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_d%27initiatives_pour_valoriser_l%27agriculture_et_le_milieu_rural
[17] Note FELCO : organisation professionnelle et politique engagée dans la production d’une économie de proximité et de qualité, au niveau local comme international, avec pour ligne d’horizon l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : http://minga.net/