En ligne sur Alsace News, un bel article sur l’immense écrivain André WECKMANN

André Weckmann, écrivain engagé

André Weckmann est pour beaucoup le plus grand auteur alsacien de la seconde moitié du XXe siècle… et est largement méconnu aujourd’hui. (Re)découvrons son œuvre à l’occasion du 100ème anniversaire de sa naissance.

Cet article est une synthèse du dossier de 22 pages consacré à André Weckmann dans le numéro de décembre 2024 de la revue Land un Sproch. Alsace.News remercie la revue et ses auteurs et autrices pour le droit de reproduction et d’adaptation de ce dossier pour le présent article.

André Weckmann (1924-2012) est né à Steinbourg le 30 novembre 1924 d’un père alsacien et d’une mère lorraine. Il fait des études secondaires à Strasbourg au collège Saint Étienne.  Dès 1940, il écrit ses premiers poèmes « patriotiques » et antinazis en français et en dialecte. Incorporé de force dans la Wehrmacht en février 1943, il est blessé sur le front russe près de Fastov en Ukraine. Il déserte en septembre 1944 et se cache dans la maison familiale jusqu’à la Libération (22 novembre 1944).

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NDLR (FELCO) : André Weckmann et Frédéric Mistral

C’est son Professeur d’allemand qui fait découvrir Mistral et la poésie occitane à André Weckmann avant la guerre. « Un autre monde s’ouvrit à moi » dit Weckmann, « dans une langue pourtant géographiquement proche mais dont j’ignorais l’existence. Et je saisis immédiatement qu’elle avait le même sort que la mienne : celui d’une belle au bois dormant qu’il fallait réveiller ». Et en août 1941, en pleine période nazie, il écrit un premier poème à la gloire de Mistral (il n’a pas encore 17 ans), poème qu’il termine ainsi : « Je sens, ô Mistral, que nos pays sont les mêmes/nos cœurs le sont aussi ; et je veux devenir/ ce que tu fus, Mistral, dans tes touchants poèmes :/le barde fier et grand de qui chaque soupir/d’un peuple réveillé chante le souvenir ».

Et en novembre 1944, quand, déserteur, à 20 ans, il se cache dans la cave du restaurant de son père (dans un vieux tonneau de choucroute !), dans l’attente des troupes américaines, son professeur lui fait porter par son père une grammaire de provençal (sur laquelle il avait écrit en alsacien : lis et apprends). C’est alors que le déserteur va écrire un poème en alsacien inspiré du poème Desfèci de Frédéric Mistral. Le voici :

Vese d’aucèu que van amount/Que van amount souto li nivo:/Porton, li nivo, l’aigo au mount,/E vers la mar, l’aigo s’abrivo,/léu, siéu aqui/A me langui ;/E, fauto d’alo,/Ma languissoun sara mourtalo.

Vese uno estello, d’ounte part/A jour fali milo belugo ;/Briho uno bello en quauco part,/Talamen bello qu’esbarlugo,/léu, siéu aqui/A me langui ;/E, fauto d’alo,/Ma languissoun sara mourtalo.

L’aucéu que volo po culi/l’alen suau de sa bouqueto,/E se pausa tout tréfouli/Sus sa peitrino boulegueto./Iéu, siéu aqui/A me langui ; e fauto d’’alo,/Ma languissoun sara mourtalo…

(Les Isclos d’Or)

Langueur

Je vois des oiseaux qui montent vers le nord/qui montent vers le nord sous les nues ;/les nues portent de l’eau à la montagne,/et vers la mer se précipite l’eau./Moi, je suis là/à languir ;/et, faute d’ailes, ma nostalgie sera mortelle.

Je vois une étoile d’où partent,/à la tombée du jour, mille étincelles ;/quelque part brille une beauté/si belle qu’elle m’éblouit./Moi, je suis là…

L’oiseau qui vole peut cueillir/l’haleine suave de sa bouche/et se poser tout frémissant/sur sa poitrine qui remue./Moi, je suis là…

(Les Îles d’Or)

Et voici le poème d’André Weckmann :

E schwalmel fliejt em süde züe
un d’ander sitt schleift wulke har
furt rieselt s wàsser, kannt ken rüeh
un s wàsser kejt àm and ens meer
un ech ben do un kànn net furt
wie làng dürts noch bis ‘s friejohr wurd
un d zittlàng najt àn harz un sinn
müess die zittlàng deedlich sen ?
sehsch dert d starne wie se spritze
uffenàb àm firmàmant
wie se bloeje uff düen ritze
bis enàb wo d sunn verbrannt ?
un esch ben do… wrum gehsch dü schun
o blii bi mer dü glüet o sunn
dann d zittlàng najt àn harz un sinn
müess die zittlàng deedlich sen ?
zwei starnle bsundersch bsundersch glanze
e blick wo minne blick verbland
àlli àndri um se dànze
un ech, ech hàb se glich gekannt…
gan mer flejjel, gan mer flejjel
lon mech flieje met de vaijel
dann d zittlàng najt àn harz un sinn
müess die zittlàng deedlich sen ?
d vaijel düen de sunn schmàrotze
un hole si e siessi frucht
lon si vàn de lieb verschmutze
wanns um mech rum gràde wenter wurd…
un ech ben do, ellain, verlon
un wàrt un wàrt… uff wàs dann schun ?
un d zittlàng najt àn harz un sinn
müess die zittlàng deedlich sen ?

Une hirondelle vole vers le sud, du nord arrivent les nuages. L’eau s’écoule, sans repos, jusqu’à se jeter dans la mer. Et moi, je suis là et ne peux partir. Quand enfin viendra le printemps ? La nostalgie ronge mon cœur, faut-il donc qu’elle soit mortelle ?

Vois-tu les étoiles danser au firmament ? Les vois-tu griffer l’azur jusqu’à l’horizon où se consume le soleil ? Et moi, je reste là…Pourquoi t’en vas-tu déjà, ardent soleil ? La nostalgie…

Deux étoiles, surtout, m’éblouissent, toutes les autres dansent autour d’elles. Et moi, je les ai reconnues. Qu’on me donne des ailes ! Qu’on me fasse voler avec les oiseaux ! La nostalgie…

Les oiseaux câlinent le soleil, y cherchant fruits doux, baisers d’amour ; alors qu’ici l’hiver m’entoure. Et moi, seul, abandonné, j’attends…, quoi, au juste ? La nostalgie ronge mon cœur, faut-il qu’elle soit mortelle ?

Un texte d’André WECKMANN avec exploitation pédagogique a été publié dans l’ouvrage de Micheline Cellier-Gelly, Claire Torreilles et Marie-Jeanne Verny, Entre deux langues. Bilinguisme et autobiographie. ADAPT – SNES, 2004. https://adapt.snes.edu/catalogue/praxis/Entre-deux-langues

 

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