Le contexte dramatique pour la communauté éducative dans lequel s’ouvre ce colloque me rappelle les paroles prononcées par mon prédécesseur Yan Lespoux lors du discours inaugural au 31ème colloque de la FLAREP en 2016, année qui pour nous Niçois résonne tragiquement à tout jamais : « Au moment où partout dans le monde, des conceptions identitaires fermées sèment la peur et la mort, au moment où, chez nous, s’affirment des idéologies de l’exclusion, nous voulons montrer que la reconnaissance et la connaissance des langues régionales peuvent et doivent représenter une ouverture d’esprit, une conception ouverte de la citoyenneté ».
Sept ans après ces propos, de tragiques événements sur le plan national et international viennent une nouvelle fois nous frapper, comme parents, enseignants, élus, syndicalistes, tous attachés à la construction de la citoyenneté. Mais notre détermination n’en est que plus forte. En tant que transmetteurs de langues et de cultures régionales, patrimoine de la Nation, nous voulons continuer à œuvrer pour que les enfants qui vivent sur nos territoires, quelles que soient leurs origines, puissent se créer une culture commune dans laquelle les langues et cultures des pays où ils vivent soient pleinement intégrées. C’est là notre conception du vivre-ensemble dans l’intérêt de la France, pour le bien de l’humanité.
C’est avec gravité, une immense émotion, mais également avec une grande fierté et une confiance lucide dans l’avenir que je me tiens face à vous aujourd’hui pour ouvrir le 37ème colloque de la FLAREP ici à Nissa.
En ce moment, je repense à l’action menée il y a dix ans, de manière conjointe par les parents d’élèves de l’école des Orangers de Nice, les services du rectorat et les élus, pour que la première école publique bilingue français-niçois sur le territoire de notre ville connaisse sa première rentrée scolaire. C’était il y a dix ans, soit trente ans jour pour jour après l’ouverture du premier cursus public bilingue de France chez nos amis basques, à Sare. Je salue le rôle de pionnier joué par le Pays Basque en la matière, tout comme je salue, plus proche de nous dans le temps, l’action essentielle de nos amis corses dans la création d’une agrégation des langues de France. Nous avançons ainsi, à des rythmes différents, mais dans l’unité pour défendre la place de nos langues dans le service public. Ce colloque, comme les précédents a aussi pour objet de présenter les luttes menées dans nos différents territoires. Ainsi la conférence inaugurale de Pascal Ottavi nous présentera-t-elle 40 ans de luttes pour l’intégration du corse dans l’enseignement public, choix stratégique qui a démontré son efficacité.
De Sare à Nice, les trente années qui se sont écoulées en disent long sur les différences territoriales en matière d’enseignement de nos langues. Nous ne referons pas aujourd’hui l’histoire même s’il est utile de savoir de quelles luttes communes nous venons : l’historien Philippe Martel, ancien président de la FELCO, nous en parlera demain dans sa conférence « Robert LAFONT, artisan du travail coopératif entre langues de France ». Travail coopératif, déjà, notamment entre Bretons et Occitans, dès l’Après-Guerre.
Dans la lignée de ces prédécesseurs, nous sommes réunis pour l’avenir et je veux croire qu’une dynamique lancée dans un de nos territoires finit toujours par irriguer l’ensemble des autres. Cet écho n’est possible que dans l’unité de notre action. Cette unité qui fait qu’aujourd’hui nous sommes réunis pour la 37ème fois dans l’histoire de la FLAREP, première fois sur le territoire de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette unité qui fait que la FELCO se trouve aux côtés de l’IEO et du Félibrige pour ne citer qu’eux – et je salue la présence dans la salle de la majorale Mirèio Durand-Guériot qui représente le Capoulié Paulin Reynard – lequel sera présent demain – au sein du collectif « Pour Que Vivent Nos Langues ». Cette unité qui fait que sur l’espace de la langue d’oc comme dans tant d’autres régions, les enseignants et les parents, avec l’aide des élus et des syndicats, ont œuvré ensemble pour faire avancer la question de l’enseignement de la langue régionale au sein de l’école publique.
C’est pourquoi le président de la FELCO que je suis, et avec moi l’ensemble des collègues ici présents, nous serons toujours attentifs à ce que cette unité soit maintenue, parce qu’elle est nécessaire pour que tous les enfants de la République aient accès à un enseignement d’occitan, ici sous sa forme niçoise. C’est par le biais de cette école à laquelle nous croyons que nous voulons sensibiliser l’ensemble de la population, à commencer par celles et ceux qui ne connaissent même pas l’existence de nos langues et de nos cultures qui pourtant sont aussi les leurs.
Le colloque annuel de la FLAREP est toujours l’occasion d’échanges de pratiques et de savoirs qui nourrissent ensuite nos actions de terrain. Ainsi Gwenolé Larvol, de l’Université de Brest, nous parlera j demain de la manière dont l’école peut permettre aux élèves qui n’ont pas de lien avec les langues régionales de se les réapproprier. Marianna Fonseca et Stéphanie Vaissières présenteront une recherche appuyée sur des pratiques de classe sur la place de l’occitan dans la construction des savoirs autour d’un plurilinguisme inclusif, réflexion sur le plurilinguisme que mène également Laurent Gajo, un plurilinguisme qui refuse l’enfermement utilitariste sur les langues dominantes. Michel Launey, quant à lui, abordera la diversité des modèles d’enseignement bilingue des langues régionales, selon la plus ou moins vivacité sociale des langues dans les divers territoires enseignés. Je remercie aussi la dizaine de témoins qui feront part d’expériences de terrain multiples et variées dont les résumés qu’ils nous ont adressés rivalisent d’imagination et d’inventivité. Je remercie aussi la dizaine de témoins qui feront part d’expériences de terrain multiples et variées dont les résumés qu’ils nous ont adressés rivalisent d’imagination et d’inventivité.
Aujourd’hui, notre perspective, c’est l’application de la loi relative à la protection des langues régionales et à leur promotion du 21 mai 2021 notamment son article 7, désormais intégré dans le Code de l’Éducation (article L. 312-11-2), qui évoque une offre généralisée d’enseignement des langues régionales dans les territoires concernés.
Après les attaques inédites que l’enseignement de nos langues a connues avec la mise en place de la réforme du lycée et du baccalauréat en 2018, je remercie les Députés et Sénateurs qui, de manière trans-partisane, ont voté la proposition de loi du Député Paul Molac. Celui-ci va nous faire l’amitié d’intervenir dans quelques minutes, en visioconférence, depuis sa Bretagne. Paul Molac, rappelons-le, est aussi l’ancien président de Div Yezh et vice-président de la FLAREP. L’espoir que représente la deuxième loi dans l’histoire de l’enseignement des langues régionales, soixante-dix ans (!) après la loi Deixonne, est désormais entre les mains de tous les partenaires de ce colloque : enseignants, parents, élus, responsables syndicaux et associatifs. Nous demandons au Gouvernement de l’appliquer honnêtement et sans réticence afin de préserver et transmettre un élément du patrimoine national mais aussi de cultiver le vivre-ensemble, indispensable rempart contre les obscurantismes que le monde ne connaît déjà que trop.
Ce colloque a pu être organisé grâce à de nombreux soutiens que je tiens à rappeler ici. Je remercie tout d’abord Monsieur le Président du Conseil Régional PACA Renaud Muselier, représenté ici par Monsieur Léonelli, cher Pierre-Paul, Chef de la majorité régionale. Je crois d’ailleurs savoir que sur proposition de Monsieur le Président délégué de la Région, Christian Estrosi et de Monsieur le Conseiller Régional, la commission permanente qui se réunira le 26 octobre à Marseille votera une subvention de 19 450 euros pour l’organisation de cet événement. Je m’en félicite et les remercie tout comme je remercie Madame la Présidente de la Région Occitanie/ Pyrénées/Méditerranée Carole Delga représentée ici par Monsieur le Conseiller Régional délégué aux langues catalane et occitane Monsieur Assié, cher Benjamin, ainsi que Monsieur le Président du Conseil régional Nouvelle Aquitaine Alain Rousset pour leur aide et contribution. Je remercie Monsieur le Maire et Président de la Métropole Christian Estrosi, son Adjoint à l’Éducation Monsieur Gagliolo, cher Jean-Luc et plus particulièrement le Service Langue, Culture et Traditions de la Ville de Nice et son chef Stan Palomba qui n’a pas compté les heures pour que nous soyons accueillis dans de bonnes conditions. Mes remerciements les plus chaleureux vont à l’Office Public de la Langue Occitane et son tout nouveau directeur Gautier Lagalaye à qui nous adressons tous nos vœux de réussite, et enfin et surtout, les amis et collègues bénévoles, Virginie, Bruno, Marie-Jeanne, Fred, Laurie, Jérémy… Mention spéciale enfin pour les élèves de nissart du Lycée Masséna qui se sont mobilisés pour nous accueillir et qui ont compris que c’était à eux désormais de se faire une place.
« Les langues régionales à l’école publique pour la réussite de tous », cette belle idée portée par notre colloque nécessite la bonne volonté et l’aide indispensable des élus ; ces mêmes élus ont besoin de sentir de la même manière la volonté inébranlable des citoyens pour défendre cette cause, les associations en tête, et je salue la présence ici de nombreux responsables associatifs niçois. C’est sur cette synergie que repose l’espoir de voir le gouvernement rompre son silence à notre égard, et commencer enfin à vraiment agir.
À l’heure où nous répétons nos appels pour une application de la loi vers une généralisation progressive de l’enseignement des langues régionales, bien évidemment soumise à la volonté des élèves et de leurs familles, à l’heure où nous interpellons le Ministère de l’Éducation Nationale avec l’aide précieuse des syndicats pour un accroissement structurel de l’enseignement de nos langues, à l’heure où la France inaugure la Cité Internationale de la Langue Française à Villers-Cotterêts, une Cité de la Langue…. qui ne fait qu’une place peu satisfaisante aux autres langues de France, nous sommes confrontés à des réponses laconiques et lénifiantes, qui cachent bien mal une indifférence qui confine au mépris. On nous parle souvent, et avec quelle éloquence, de la République et de ses valeurs, notamment l’égalité entre les citoyens, ou la lutte contre les discriminations. Célébrer ces valeurs, c’est bien. Mais ne serait-ce pas encore mieux de les faire vivre ? Et donc, entre autres, d’assumer enfin la pluralité linguistique et culturelle de la société française ? Cette idée déplait à ceux qui nous parlent aussi, et avec quelle inquiétude feinte, d’un péril communautariste qui menacerait l’unité du pays. N’y a-t-il donc rien de « communautariste » dans le fait de refuser, au nom de la sacralisation du vieux monolinguisme français, toute vraie place aux autres langues de France ? Nous, enseignants et parents d’élèves du public, nous sommes citoyens français, et « ni court ni coustié », franchement et loyalement, écrivait Mistral il y a plus de 150 ans. C’est comme tels que nous demandons que cette place soit enfin faite, tout aussi franchement et loyalement, à nos langues, et que les textes législatifs qui les concernent soient vraiment appliqués, afin de permettre aux enfants de ce pays d’avoir enfin un accès véritable aux richesses dont nos cultures sont porteuses. C’est cette demande que nous porterons dans les mois qui vont suivre notre colloque, nous, enseignants d’occitan, aux côtés de nos collègues de toutes les langues représentées dans la FLAREP