Pourquoi l’appellation de « langues d’oc » est-elle porteuse potentiellement de malentendus et de difficultés ?
Pour poser la question simplement : y a t-il une ou plusieurs langues d’oc, et doit-on considérer le provençal comme totalement étranger à des dialectes voisins comme le languedocien, le gascon, le limousin l’auvergnat, le vivaro-alpin, toutes variantes reconnues dans les textes officiels et regroupées par eux sous la dénomination langue d’oc-occitan au singulier, en vertu d’une tradition inaugurée par la loi Deixonne de 1951 qui parlait de langue occitane.
– L’existence dans le Midi de la France, plus le Val d’Aran en Espagne, plus une douzaine de vallées des Alpes piémontaises en Italie, d’une famille de parlers partageant suffisamment de traits communs au delà de leurs divergences superficielles pour qu’on puisse y voir les formes locales d’une même langue est reconnue depuis au moins le XIXe siècle par la science internationale. Cette unité est reconnue encore aujourd’hui par l’association Internationale d’Etudes Occitanes qui regroupe sur plusieurs continents tous les spécialistes de langue et littérature d’oc. Les recherches menées depuis deux siècles, qu’elles concernent les Troubadours ou les périodes plus récentes de l’histoire littéraire du Midi de la France, ou encore la réalité des pratiques orales aujourd’hui sur ce même espace, montrent bien qu’il s’agit d’un même ensemble, uni au fil des siècles aussi bien par l’intercompréhension spontanée à l’oral que par la circulation des oeuvres et des hommes.
– Dès le XIXe siècle, le Félibrige de Frédéric Mistral s’était donné pour objectif le rassemblement de tous les écrivains d’oc, tous dialectes confondus, On rappellera aussi que le Trésor du Félibrige, œuvre lexicologique magistrale du même Mistral, accueille les formes dialectales de toute l’aire linguistique d’oc.
Et aujourd’hui encore, un certain nombre d’associations, le Félibrige, l’Institut d’Etudes Occitanes, la FELCO… comptent des adhérents dans toutes les régions méridionales.
Nul ne songe à imposer en Provence – par quels moyens d’ailleurs ? un idiome qui ne correspondrait pas à la forme héritée et pratiquée de la langue telle qu’elle existe dans cette région. Il n’y a donc pas de raison sérieuse de vouloir la défendre contre un danger totalement fantasmatique, et encore moins de vouloir la séparer des dialectes apparentés. Ajoutons que cette volonté particulariste expose ses promoteurs eux-mêmes aux surenchères les plus audacieuses : pourquoi ne pas imaginer une revendication en faveur d’un « varois » ou d’un «grassois » totalement étranger, proclamera-t-on, à un provençal perçu en tel ou tel endroit comme intrusif et menaçant ?
Il faut savoir accepter l’inévitable dialectique entre unité et diversité, enracinement et ouverture, bref, provençal et langue d’oc dans son ensemble, sa variabilité étroitement liée à son unité foncière.
Et ainsi pourront se développer des échanges fructueux entre un provençal dont nul ne nie le prestige, fondé sur l’œuvre de Mistral et de ses successeurs, quelle que soit par ailleurs la graphie qu’ils emploient, et ses voisins, qu’il s’agisse du languedocien à l’ouest de Nîmes, ou du vivaro-alpin qui occupe le nord de la région Paca, des hautes vallées niçoises aux pentes nord de la montagne de Lure.
C’est aux élus de la région qu’il appartient, en toute connaissance de cause, de marquer leur attachement à la langue de notre région sans oublier qu’elle est liée à un ensemble plus vaste, dans lequel elle a toute sa place, et auquel elle peut apporter comme elle le fait depuis si longtemps, tout ce qui fait sa spécificité, et l’importance de son héritage.
Philippe Martel juin 2008